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                 "LE MUR DE BERLIN 
                  DE L'ÂME ARMÉNIENNE"   
                Le livre récemment publié de Janine 
                  Altounian serait comme notre victoire sur « notre propre mur 
                  de Berlin» à nous, Arméniens dispersés de par le monde, divisés 
                  et enfermés en nous mêmes.  
                C'est notre nouvel âge de la Transparence 
                  qui s'ouvre sur l'âme arménienne.  
                Cet ouvrage nous ouvre les chemins 
                  de notre authenticité d'homme ou de femme et laisse voir nos 
                  racines arméniennes; celles de notre moi profond cherchant à 
                  se libérer. Libération intérieure et émancipation vont de pair. 
                  A ce sujet, je me plais à me rappeler Martin Luther King qui 
                  avait écrit « La Force d'Aimer ». J'évoquerais le travail de 
                  Janine Altounian, non pas seulement comme la force de sentir 
                  ou de ressentir, mais surtout comme la force de comprendre. 
                  Comprendre ce qui nous est arrivé depuis le Génocide de 1915, 
                  et le destin auquel nous tendons, qu'évoque si bien le poète 
                  Vahan Tékeyan dans « l'Âme Arménienne » : Que nous est-il arrivé ??  
                Cela fait trois générations que nous 
                  marchons dans les ténèbres, que nous portons notre croix, que 
                  nous sommes si peu efficaces. Cela fait 3 générations que nos 
                  oncles, nos frères, nos enfants, nous abandonnent sur ce long 
                  chemin, parce qu'ils voudraient être au soleil, au risque souvent 
                  d'attraper des brûlures.  
                Après tout, n'y-a-til pas des chemins 
                  d'Arménie, en plein jour, hors des ténèbres ?  
                Pourquoi n'ose-t-on pas parler arménien 
                  ? Pourquoi refuse-t-on de fréquenter la communauté, de s'intéresser 
                  à l'histoire de l'Arménie, à prendre plaisir auprès de la culture 
                  ou de la littérature arméniennes ? Pourquoi rejette-t-on la 
                  parole paternelle ? Pourquoi tant de faux fuyants et de démissions? 
                  Pourquoi certains se marient-ils même en dehors de nos églises 
                  arméniennes ? Au tant de raisons aux indifférences, aversions, 
                  agressivités, exclusions, angoisses, blocages et complexes de 
                  part et d'autre.  
                On a tenté d'y répondre, d'y apporter 
                  une solution en invoquant tour à tour et bien maladroitement, 
                  la tradition, la morale, la religion, la poésie et même la politique. 
                  On en a concocté une bouillie indigeste en guise de remède aux 
                  incompréhensions et aux échecs. Nous avons voulu ainsi gaver 
                  nos enfants et nos amis d'activités « arméniennes ».  
                Ces aspects de la vie arménienne à 
                  cause de l'inadéquation de nos méthodes causent malheureusement, 
                  on le sait, des conséquences négatives tant dans la vie famiiale 
                  que dans la vie communautaire, voire la politique.  
                L'ouvrage de Janine Altounian n'est 
                  pas un livre de recettes pratiques pour remédier aux faits visibles 
                  en superficie. L'auteur sonde les mouvements psychologiques 
                  profonds et explore les lois qui régissent les chaos et les 
                  énergies intérieurs liés à la catastrophe de 1915. Elle met 
                  en évidence les phénomènes invisibles de cause à effet et entreprend 
                  une analyse de l'inconscient collectif arménien et de sa pathologie 
                  en relation avec l'environnement quotidien.  
                Janine Altounian est membre du comité 
                  éditorial de traduction des œuvres de Freud d'allemand vers 
                  le français, aux Presses Universitaires de France (P.U.F.). 
                  Elle a déjà publié de 1975 à 1988 sept articles sur la problématique 
                  arménienne, avec une approche existentialiste dans la revue 
                  fondée par Jean Paul Sartre « Les Temps Modernes ».  
                Ce travail fondamental s'inscrit dans 
                  le monde professionnel de la psychologie et de la psychanalyse. 
                  Il jette les bases d'une nouvelle spécialité arménienne, au 
                  même titre que l'architecture, la musique ou la poésie. Cette 
                  discipline existe désormais dans l'Etude des conséquences du 
                  Génocide sur l'Inconscient arménien.  
                Cet ouvrage de recherche scientifique 
                  devrait être traduit en arménien, en anglais et en d'autres 
                  langues. Chaque acteur et responsable de la communauté devrait 
                  lire ce livre. Et surtout chaque homme d'église aussi. Ce livre 
                  risque certes, de gêner l'« establishment », la « nomenclatura 
                  » politique et la hiérarchie ecclésiastique, tant en Arménie 
                  qu'en Diaspora, malades de leur politique de l'autruche.  
                Il est important que les associations, 
                  les partis nationaux et les médias communautaires prennent conscience 
                  de son contenu et le diffusent. Ne serait-ce parce que les faiblesses, 
                  les vulnérabilités, les failles, les handicaps de la psychologie 
                  arménienne des profondeurs sont ici mis à nu. Rien de plus facile 
                  au contraire, de les exploiter pour mieux enrayer, retarder 
                  l'émancipation de notre peuple, de fausser ou dénaturer la libération 
                  intérieure arménienne. Très facile en effet, de nous manipuler 
                  avec notre immaturité légendaire. N'a-t-on pas jusqu'à maintenant 
                  alimenté de manière malsaine notre stagnation nationale, notre 
                  paralysie conventionnelle et craintive ou notre culpabilité? 
                  Cela aussi bien en Arménie soviétique que dans les communautés 
                  en Diaspora. Et maintenant n'est-il pas aisé également, d'exciter 
                  l'aventurisme politique et l'exaltation fébrile et stérile ?  
                La lecture des « Chemins d'Arménie 
                  », peut être particulièrement captivante pour ceux qui ont eu 
                  une expérience psychothérapeutique. Elle est accessible, intéressante 
                  et enrichissante pour les lecteurs qui ont la foi ou qui ont 
                  la volonté de comprendre et d'aller de l'avant sans craindre 
                  de se remettre en cause.  
                Les titres de chapitres de l'ouvrage 
                  de Janine Altounian, qui est un livre de réflexion psychanalytique, 
                  sont évocateurs : « Comment peut-on être Arméniens ? », « Une 
                  Arménienne à l'école », «A la recherche d'une relation au père 
                  soixante ans après un génocide », « Terrorisme d'un génocide 
                  », « Un non-dit bien entendu », « Faute de parler ma langue 
                  », « L'implosion d'une lecture, un contact mortel pour la vie 
                  », « De l'Arménie perdue à la Normandie sans place », « Viol 
                  et silence », « Transfert et territorialisation ».  
                La réflexion de Janine Altounian porte 
                  donc sur les conséquences du Génocide. Rappelons que le Génocide 
                  est un acte pensé, préparé, rationnellement programmé, planifié 
                  et exécuté avec méthode et rigueur.  
                L'auteur nous fait part que le Génocide 
                  est comme un bulldozer qui anéantit tout sur son passage. Les 
                  rescapes sont comme des miettes de part et d'autre du nivellement 
                  de la mort totale. Et s'ils sont des rescapés physiques, ils 
                  le sont par hasard ou par miracle, mais ils ne sont certainement 
                  pas des rescapés psychologiques. La cellule, le noyau, l'essentiel, 
                  l'identité sont atteints. 
                 L'inconscient collectif arménien, 
                  mutilé, bascule dans le vide, dans le néant, dans la folie. 
                  Les morts ne sont pas enterrés ou sans sépultures dans l'immensité 
                  du désert. Le deuil ne se fait pas et les fantômes hantent la 
                  vie des rescapés qui deviennent des morts-vivants. Et comme 
                  le coupable n'a pas été reconnu comme coupable et condamné, 
                  les échappés du Génocide assistent à une vision morbide d'un 
                  ballet macabre à trois, où évoluent le bourreau, la victime 
                  et le témoin muet et complice par son silence. 
                 Pour survivre à ce cauchemar permanent, 
                  les rescapés horrifiés au cours des générations, élaborent des 
                  stratégies de défense, de survie et veulent mettre à distance 
                  l'insupportable : le souvenir du Génocide et la perversité de 
                  l'impunité. L'héritage historique devient irrecevable et tout 
                  est rejette en bloc. On veut occulter au niveau de la pensée, 
                  la catastrophe annihilante et ses suites déstructurantes. Plus 
                  que la nausée, le non-dit s'installe.  
                II y a un mutisme tapageur au niveau 
                  du langage et le véhicule de la parole terrorisée et impuissante, 
                  la langue est écorchée et abandonnée. Cependant la mère meurtrie 
                  et l'église profanée sont idolâtrées. La femme souillée est-elle 
                  écartée parce que la communauté aliénée s'absente ? Le désir 
                  est pétrifié. L'homme, le père n'ont pas rempli leur rôle de 
                  protection de famille et sont dévalorisés, ainsi que le concept 
                  de l'Etat arménien. La pensée devient castrée et inopérante. 
                  La confusion est totale.  
                Dans la vie sociale ou nationale on 
                  connaît les manifestations et les échappatoires classiques et 
                  habituels : rigidité parentale, démission filiale, auto-assimilation 
                  volontaire, course aux diplômes, mobilisation professionnelle 
                  totale, pour la « réussite sociale, l'enrichissement à tout 
                  prix, productions artistiques et littéraires, envolées poétiques, 
                  militantisme politique exacerbé pro ou anti-Arménie soviétique, 
                  actions armées exhibitionnistes, etc.  
                La vie se manifeste par pulsions et 
                  la pensée ne s'élabore pas : ainsi par exemple quand on se passionne 
                  pour le Karabagh, on ne pense pas comment et avec quelles méthodes, 
                  appropriée et adéquates on arrive au but concret qu'on se propose.  
                Avant de terminer, je voudrais exprimer 
                  deux images. D'abord, je pourrais dire que certains aspects 
                  du comportement arménien que j'ai mentionnés plus haut, sont 
                  comme certains reflets de la neige qui recouvre l'iceberg. Les 
                  différents environnements des pays d'accueil -ou de la politique 
                  internationale sont comme les différents océans, et courants 
                  ou vents qui poussent l'iceberg. Le rôle de Janine Altounian 
                  est de nous faire prendre conscience que la partie immergée 
                  de l'iceberg existe. Et cette partie, est invisible pour nos 
                  yeux et silencieuse à nos oreilles de profanes, mais elle existe 
                  bien. Elle est en profondeur avec son énergie froide en action 
                  et en évolution, suite au Hiroshima Immobilisateur de 1915.  
                Ensuite pour l'autre image déjà évoquée 
                  au début, l'auteur sonde pour nous les profondeurs de l'Inconscient 
                  arménien, autrement présent, comme sous l'écorce terrestre. 
                  Ce riche magma humain arménien, dense dans sa surfusion et chaotique 
                  dans sa lenteur, se manifeste en surface par cette vie chaude 
                  et irremplaçable, ou bien par des éruptions volcaniques, ou 
                  par des tremblements de terre destructeurs ou salvateurs.  
                Ainsi notre mur de la séparation avec 
                  nous-mêmes et notre environnement, est dénoncé, démonté, défoncé. 
                  Ce sont les retrouvailles avec nous-mêmes et la vie authentique, 
                  avec ses multiples et saines différences. Nous pouvons mieux 
                  marcher ensemble sur les Chemins d'Arménie. Le mur est abattu 
                  pour toujours. 
                 Merci à Janine Altounian  
                Nil V. Agopoff (Paris 1990) 
                   
                 
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