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Les étudiants hentchaks à Genève
  • d'après les travaux du Pr Ladislas MYSYROWICZ : Université et Révolution. Les étudiants d'Europe Orientale à Genève au temps de Plékhanov et de Lénine (VI. Les premiers groupes d'étudiants marxistes à Genève) [ Département d'Histoire générale de l'Université de Genève ]
  • LADISLAS MYSYROWICZ.
    Né à Luck/Pologne le 27 décembre 1936, originaire de Genève. Licence en histoire obtenue à l'Université de Genève en 1961; doctorat ès sciences politiques, Institut universitaire de hautes études internationales, Genève, 1973. Assistant de recherches à l'IUHEI, Fonds national de la recherche scientifique, 1967-1969; assistant au Département d'histoire générale, 1969; chargé de recherches, 1972; puis, dès 1974, professeur assistant; professeur extraordinaire de 1980 à 1983; professeur ordinaire de 1983 à 2001 - Principaux domaines d'enseignement, de recherche et de publications : histoire contemporaine; la France entre les deux guerres mondiales; l'émigration slave en Suisse.
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  • Extrait :

    ... Parmi les camarades de Nicolas Gabrowsky, nous découvrons la présence de trois Arméniens: Mekertitch Manoutchariantz, A. K. Sohmavonian (Gabriel Kaffianz N°59) et N. Matinian dont les noms sont, eux aussi, liés à l'histoire du mouvement socialiste de leur pays. Nous reverrons un peu plus loin le nom du premier, aux côtés de Wanda Wojnarowska et de plusieurs autres étudiants très engagés, au bas de cette adresse envoyée en 1888 aux étudiants de Russie à laquelle nous avons déjà fait allusion.

    Au semestre d'hiver 1885/86, pris par nous arbitrairement comme référence, les étudiants arméniens à Genève formaient un minuscule groupe national. Dés le semestre suivant, leur effectif grossissait légèrement pour compter, en hiver 1887/88, une dizaine de membres: quatre étudiants en Sciences - Pogos Afrikian N°60, Marie Tatossian N°61, Christophe Ohanian N°62, Karapete Tschakmakhiantz N°63 (auditeur); deux en Lettres - Simon Hohanian et Georges Karadjian (Kevork Garadjian N°64); trois en Médecine: Mihran Bohadjian, Bedros Mahokian et Mathéos Shah-Azizian N°65 (celui-ci, auditeur comme Tchakmakhiantz et logeant à la même adresse que lui). Parmi eux se trouvent la plupart des fondateurs du parti révolutionnaire arménien Hintchak, définitivement constitué en août 1887 à Genève. Le nom de ce parti n'est d'ailleurs que la traduction du mot russe Kolokol (la cloche), pour rappeler le journal de Herzen dont la carrière s'était achevée 20 ans auparavant à Genève N°66.

    En fait, la fondation du premier parti socialiste d'Arménie remonte à l'été 1886. C'est alors que deux étudiants arméniens de Paris: un riche bourgeois de Tiflis - Avetis Nazarbekian - et sa fiancée Mariam Vardanian N°67, ancienne membre d'un cercle révolutionnaire de Saint-Pétersbourg, décident de créer un parti révolutionnaire arménien et réussissent à convaincre quatre compatriotes, étudiants émigrés à Genève, de s'associer à leur entreprise: Gabriel Kaffianz, Ruben Khan Asadiantz N°68, Nicoli Matinian et Mekertitch Manoutcharian N°69. Pour élargir le groupe, Gabriel Kaffianz se rend à Montpellier, d'ou il ramène quatre nouvelles recrues Shah Azizian, Karadjian, Ohanian et Afrikian. Cependant le groupe initiateur genevois se limitera à six membres car, quelque temps seulement après l'arrivée du renfort de Montpellier, une scission aux raisons peu claires éclate. Décision est prise quand même de fonder un parti révolutionnaire de masse devant couvrir toute l'Arménie turque et posséder des sections dans les différentes communautés arméniennes de l'étranger.

    Pour récolter des fonds en vue du lancement de son organe, le groupuscule organise à Genève, fin 1886, une soirée caucasienne. Professeurs et étudiants de l'Université y viennent nombreux et le bénéfice réalisé permet de commencer les opérations. L. Nalbandian, historienne du mouvement révolutionnaire arménien, précise que les six étudiants genevois formèrent un comité de trois membres - Vardanian, Nazarbekian et Gharadjian - pour rédiger le programme de ce qui deviendra le parti révolutionnaire Hunchakian (Hintchak N°70). Les fondateurs réclament pour l'immédiat l'indépendance de l'Arménie et comme but lointain la socialisation de son économie; comme moyens, ils admettent la possibilité de différentes méthodes allant de la propagande parlée ou écrite à l'emploi de la terreur. A l'instar du groupe polonais Proletariat, le parti Hintchak était une sorte de croisement idéologique entre le socialisme marxiste et le populisme du type Narodnaja Volja Ses fondateurs étaient en rapport à Genève avec Georges Plékhanov et Véra Zassoulitch mais également avec Proletariat et les Russes de la tendance terroriste.

    De Genève, les Hintchak enverront des émissaires à Constantinople et dans de nombreux villages de Turquie pour organiser l'action de leur compatriotes. Ce parti restera actif jusqu'en 1896, date à laquelle il est profondément affaibli par une crise interne. A cette époque un autre parti, la Fédération révolutionnaire arménienne Daschnakzoutioun dont le centre est à Genève, l'a remplacé auprès des masses.

  • Notes :

    N°59 Louise Nalbandian, The Armenian Revolutionary movement; the Development of Armenian Political Parties through the nineteen Century, University of California Press, Berkeley, 1963, indique que Gabriel Kafian [Kaffianz, Kaffiantz] se nommait aussi Shemavon [Schemavon]. Nous ne trouvons ni l'un ni l'autre nom dans les listes de l'Université mais bel et bien un Schmavonian [Schmavon], dont les dates de séjour correspondant à cclles de Kaffianz. Ce doit être le même, car les transcriptions diffèrent souvent d'une source à l'autre pour les noms arméniens, surtout en ce qui concerne les terminaisons. Kaffianz était lié aux révolutionnaires polonais. En 1889, il sera expulsé de Suisse pour l'affaire des bombes de Zurich en même temps qu'Alexandre Debski, Felix Daszynski, Marie Gunzburg, J. E. Kassiusch. Cf. Mysyrowicz, Agents secrets, art. cité, où nous l'avons indiqué par erreur comme Polonais). Fin avril 1888, il avait été arrêté en Allemagne alors qu'il tentait de faire passer clandestinement de la littérature interdite en Russie. Précédemment, le 21 avril 1887, il avait été expulsé de Genève pour une obscure dispute avec un opticien.

    N°60
    Pogos Afrikian, étudiant né en 1863, originaire d'Arménie (AEG, recensement); signataire d'un appel aux étudiants russes en 1888 avec Wojnarowska, etc., voir plus loin.

    N°61
    Marie Tatossiantz, née en 1870, épouse d'Alexandre Aboviantz (AEG, recensement).

    N°62
    L. NALBANDIAN, op. cit., indique seulement à son propos qu'il venait de Montpellier. Nous n'avons rencontré qu'une seule fois son nom: en bas d'un témoignage de gratitude présenté le 3 novembre 1893 à l'anarchiste russe Nicolas Joukowsky pour son 60e anniversaire. Parmi les 61 signataires nous y trouvons, outre Christophe Ohanian, celles des Arméniens suivants: Anna Atabekiantz, Alexandre Atabekiantz , Léon Aladjalian, A. Lalayantz, Michel Gaspariantz, M. Vartanian, Gabriel Bachatrian, Paul Melikian.

    N°63
    K. Tchakmakhianz, co-signataire de l'appel de 1888 (voir plus loin), co-fondateur de l' Hintchak.

    N°64
    Kévork Gharadjian (Georges Karadjian) (Archomède), étudiant russe né en 1862 (AEG recensement), soupçonné d'être "nihilistes par la police française en 1889. Selon ANAHIDE TER MINASSIAN, Le Mouvement révolutionnaire arménien, 1890-1903, Cahiers du monde russe et soviétique, XIV, 4, octobre-décembre. 1963, ce membre du groupe initiateur du Hintchak s'est rapidement séparé de ses camarades pour des raisons obscures. En 1887, il traduit le Manifeste du parti communiste en arménien mais sa traduction s'étant perdue, elle ne vit pas le jour. En 1897, il milite à Tiflis et entre au P.O.S.D.R.; il se fait connaître pour sa participation à la révolution de 1905 et a peut-être fait partie du Comité social-démocrate de Tiflis dont Staline était membre en novembre 1901.

    N°65 TER MINASSIAN et NALBANDIAN, op cit., indiquent seulement à son propos qu'il fut un des fondateurs du parti Hintchak. Quelques recoupements dans les archives permettent de soulever un petit coin de voile à son sujet. Tout d'abord ses lectures à la Bibliothèque publique et Universitaire de Genève témoignent d'un travail de réflexion idéologique certain: aidé d'un dictionnaire français-arménien, Shah Aziziantz lit le 12 nov. 1886 Ricardo, Morus, Malthus; en décembre, Spinoza et Proudhon; en février, Louis Blanc et Michelet, puis du Garibaldi; en février et mai 1888, il demande régulièrement en lecture le Révolté (par exemple les 2, 3, 4 et 14 mai), la collection de 1'Egalité (15, 16, 17, 23, 25 mai), le Précurseur (22 juin 1888); en janvier 1889, il lit Spencer et Froebel, etc.... Mais surtout, nous voyons le nom d'Azizian cité à propos de l'expulsion d'un étudiant russe, Théodore Schestakoff. Il faut que nous en disions quelques mots car l'affaire est instructive. T. Schestakoff, né en 1866, ancien étudiant à l'Université de Kazan, arrive en 1888 à Genève pour faire sa médecine. Se trouvant sans papiers du fait du refus du gouvernement russe de lui renouveler son passeport, il obtient une carte provisoire de proscrit et fait l'objet d'une enquête. Le rapport indique: "les renseignements [sur son compte] ne sont pas mauvais . . . cependant il fréquente - assidûment les nihilistes en résidence à Genève, est constamment à eux [sic], fréquente leurs réunions; il y a deux ans, il partageait le logement d'un étudiant, Shah Asisian, qui s'est suicidé depuis; c'est lui qui a enlevé les papiers avant que la police vienne faire les constatations. En novembre 1889, ayant été recensé par le soussigné, il donnait comme lieu d'origine Moscou (au lieu de Tomsk qu'il indique cette fois) et était déjà sans papiers (rapport de Kohlenberger 24 juin 1891). L'expulsion est provisoirement ajournée. Mais un nouveau rapport indique à son sujet: "En 1889, le 5 novembre, il est signalé pour avoir prêté un passeport à un anarchiste des plus militants, le nommé Shah Asisian, également étudiant et sujet russe, pour qu'il puisse se rendre à Paris où il est connu comme anarchiste très militant - depuis s'est suicidé" L'expulsion est alors confirmée, malgré les dénégations de l'intéressé (AEG, expulsions).

    N°66 Cf. Louise NALBANDIAN, op. cit., et A. T. MINASSIAN, art. cit.

    N°67 Avetis Nazarbekian, né en 1864, était le neveu d'un des plus riches Arméniens de Tiflis. Il épousa Marie Wartanoff [Mariam Vardanian, Maro Vartabedian] dont il eut un fils en 1888. C'est lui qui prononcera en 1890 le discours du Premier mai à Genève, au nom des étudiants russes. La police politique genevoise indiquait le 20 mai 1890 à Berne qu'après l'affaire des bombes de Zurich, il avait logé Kaffianz chez lui; elle notait encore: "Nazarbekian reçoit une volumineuse correspondance et a souvent chez lui des réunions d'étudiants russes. Les réunions commencent toujours dans la soirée et durent souvent jusqu'à une heure très avancée de la nuit. (Archives fédérales, Berne). LOUISE NALBANDIAN indique que sa femme, Mariam (Maro) Vardanian [Marie Wartanoff sur les fiches de recensement genevois et Maro Vartabedian dans l'article précité de A. T. MINASSIAN] était la tête pensante du groupe. Voir également plus loin.

    N°68 Rouben Khanazadian (Khanazad), né en 1863 est une personnalité indissociable de l'ensemble du mouvement révolutionnaire arménien , indique A. T. MINASSIAN (art. cité); il fut le premier du groupe à quitter Genève en été 1889 pour le Yerkir en passant par Paris où se tient le ler congrès de l'Internationale et où il expose le programme de son parti; il a laissé des Mémoires (ib., note 42). Il doit être identique à Khan-Ariadani, soupçonné en 1889 par le commissaire spécial de Bellegarde d'être "nihiliste".

    N°69 Il existe ici une divergence entre la liste des 6 fondateurs donnée par Nalbandian, op.cit, et celle de A. T. Minassian. Le premier auteur indique que N. Matinian fut rapidement obligé de rentrer au pays, ce qui expliquerait son absence des listes d'étudiants à Genève; le second auteur évoque M. Manuelian, dont nous n'avons pas retrouvé trace à Genève.

    N°70 Le nom de ce parti connaît de multiples transcriptions: Huntchakian, Hintchak, Hunchag, etc....

  • Recherche sur le web : BelgoHay
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  • - Ed. CH. La Suisse et l'Arménie (Reproduit du Journal de Genève, 16. 5. 1928), Revue des Etudes Arméniennes, Paris 1928, VIII, pp 67-68
  • 10 février 1902, conférence de Francis de Pressensé dans la Grande Salle du Victoria Hall sur l'invitation de l'Union des Etudiants arméniens de l'Europe
  • Ստեփանյան , Մ. Ս. Կամավորական շարժումը և սոցիալ-դեմոկրատ հնչակյան կուսակցությունը. .Լրաբեր Հասարակական Գիտությունների,  2004-I . pp. 158-166. ISSN 0320-8117  Voluntary movement and social-democratic Hnchak party.
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  • L'Arménie et le peuple arménien, Turabian 1962 : Photos et pages sur les Hentchaks :
    – Partie 1 : – Partie 2 : – Partie 3 : p.134 – Partie 4 : –
    Partie 5 : p.319, p.314, p.304, p.301
  • Pétition des Hentchakistes : pp.113-115
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à compléter
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