> VI - Histoire > Le XX siècle > Article traduit du Journal Hentchak sur les Jeunes-Turcs et publié en 1908 à Paris (L'Indépendance arabe)
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  • L'INDÉPENDANCE ARABE - Paris - Rédacteur en chef : Négib Azoury - N° 11-12 Fév-Mars 1908, pp163-170
  • LA TYRANNIE TURQUE ET LES JEUNES-TURCS par S. Sapah-Gulian, Rédacteur du Hentchak
  • article traduit de l'arménien par M. Serge d'Herminy
page 167

ce principe ? Ils ne savent donc pas qu il ne peut, effectivement, être question de l'indépendance et de l'intégrité d'une Puissance, quand cette Puissance est réellement indépendante et qu'elle se trouve dans les conditions requises pour conserver son intégrité? Ignorent-ils, ces mêmes "Jeunes Turcs" que depuis la fin du XVIIIe siècle la Turquie n'est plus de facto, indépendante ?

Le Droit International, le droit des Gens reconnaissent aux Puissances le droit de Souveraineté, c'est-à-dire que chaque Puissance, dans la limite de ses frontières, est maîtresse absolue, souveraine, et personne ne peut s'immiscer dans ses affaires intérieures.

L'Allemagne, la France, la Russie etc., sont des Etats Souverains, en ce sens que, dans ces pays, aucune intervention étrangère ou extérieure ne peut être tolérée pour tout ce qui concerne la gestion des affaires intérieures. Dans ces pays, il y a Etat et Peuple, qui sont les maîtres absolus de leurs actes et de leur destinée et qui ne supporteraient, pour rien au monde, l'ingérence étrangère ou l'intervention extérieure. Le contraire serait un cas de guerre (Casus belli).

Donc théoriquement aussi bien que diplomatiquement, l'indépendance de toute Puissance est reconnue autant que respectée ; aucune puissance ne peut dire un mot désobligeant, à ce sujet, à sa voisine.

Mais ceci est-il vrai aussi pour la Turquie? La Turquie est-elle un état souverain?

- Pas du tout!

La Turquie est privée de son droit indépendance, d'état souverain, sinon depuis François Ier, lors de la signature des Capitulations, quand elle devint, pour la première fois, la débitrice des Européens et qu'elle mit ses droits de souveraineté en gage chez ses créanciers - du moins après le traité de Carlowitz, indubitablement! Une Puissance exclue du Congrès de Vienne (1815), qui a reconnu et signé les traités de Paris, de Chypre et de Berlin ne peut prétendre au droit; d'indépendance, à plus forte raison au respect de cette indépendance, dans les conditions actuelles!

Puisque, au point de vue diplomatique autant qu'historique, la Turquie est privée de son droit d'indépendance pourquoi, alors, les "Jeunes Turcs" s'accrochent-il toujours tant à cette idée et pour quelle raison cherchent-ils à la faire admettre aux peuples qui composent l'empire ottoman? C'est parce qu'ils ont une arrière-pensée!

Et il est point nécessaire d'être d'une perspicacité extraordinaire pour la pénétrer. — Ils cherchent à faire partager cette idée aux nations qui composent l'empire, pour que celles-ci renoncent, de leur propre gré, aux importants droits qu'ils ont acquis au prix de leur sang.

Le jour où la Turquie fut expulsée du Droit des Gens (1815), parce qu'elle déchiquetait les races soumises à son autorité, de ce jour l'intervention extérieure devint inévitable pour mettre un terme à l'anarchie causée par les soulèvements motivés, par les combats sanglants des peuples hétérodoxes et hétérogènes qui vivent côte à côte dans cet empire. D'ailleurs, la Turquie elle-même fut obligée de reconnaître officiellement ce droit d'intervention par les traités qu'elle signa de gré ou de force.

L' intervention étrangère, porta atteinte à l'indépendance de la Turquie, c'est entendu; mais n'empêche que l'intervention des Puissances conféra aux peuples, torturés par les Turcs, des droits — sous forme de réformes, d'autonomie ou d'indépendance complète — souscrits par les Sultans eux- mêmes. Par quelle aberration d'esprit pensent-ils les

"Jeunes", que ces mêmes peuples ne reconnaîtraient; ne respecteraient plus leurs droits, reconnus par toutes les Puissances ? Personne ne peut nier ou ne pas reconnaître ses propres droits, quand, déjà, ces droits reposent sur des faits, connus et admis par les autres.

Citons quelques faits.

Les "Jeunes Turcs" attaquent en termes très violents les Puissances Européennes parce qu'elles interviennent en ce moment-ci — laissons de côté les motifs des Puissances — dans les affaires Macédoniennes pour l'application. du programme de réforme qu'elles ont proposé et défendu. Les "Jeunes" s'en froissent sous prétexte que cette intervention porte préjudice à l'indépendance et à intégrité dé la Turquie. Ils prétendent que les Puissances Étrangères n'ont aucun droit d'y intervenir, que la question des réformes de Macédoine doit dépendre uniquement des droits du gouvernement turc...

Si les "Jeunes Turcs" défendent une semblable thèse, les révolutionnaires macédoniens peuvent-ils la défendre aussi?

— Jamais!

Les "Jeunes Turcs n'ont jamais voulu reconnaître l'existence de la Question Arménienne ; ils l'ont combattue avec autant — sinon plus! — d'acharnement que les "Vieux". D'après eux, l'article 61 du Traité de Berlin; le Projet du 11 mai 1895, sont des Actes qui piétinent le principe de l'indépendance de l'empire ottoman. Aussi, ont-ils combattu de toutes leurs forces les Puissances qui, d'une façon ou d'une autre, ont montré quelques velléités à l'application de ces actes.

Un parti politique arménien peut-il faire la même chose?

Nous répondons: "Non!"

Comment peut-on demander à quelqu'un de combattre ses Propres droits ? Car, ces droits, seraient-ils même insignifiants, qu'ils n'en seraient pas moins, quand même, des droits. Suivant la thèse des "Jeunes Turcs" les Arméniens et les Macédoniens doivent à l'occasion - pour avoir le plaisir de respecter l'intégrité de l'empire turc! - se battre contre les Puissances Européennes, si jamais elles intervenaient dans les affaires turques à cause des Arméniens ou des Macédoniens!!!

C'est une exigence - pour ne pas employer une expression plus forte, partant plus offensante ! -plus qu'inadmissible ! Une telle idée ne peut guère germer que dans le cerveau des "Jeunes Turcs" !...

Admettre l'intégrité de la Turquie est chose relativement facile ; mais comment accommoder cette idée avec les faits et les réalités ?

Ne pas se séparer de la Turquie ne point être séparatistes, disent les "Jeunes"!.... Mais pourquoi le séparatisme a-t-i1 toujours été un phénomène inséparable de l'existence politique de la Turquie? Evidemment cela doit provenir de certaines causes qui ont existé, qui existent toujours en Turquie, et qui ayant jeté des racines très profondes ne peuvent sûrement pas être supprimées par la simple phraséologie...

Partout où il y a séparatisme et scission, il y a incohérence et forces centrifuges, et la Turquie a toujours été et est encore, pour ainsi dire, le prototype des incohérences et des forces centrifuges! Il est certain que l'esprit séparatiste disparaîtra à l'instant même où la cause qui le fait naître cessera d'exister; mais tant qu'il y aura une cause, l'effet sera toujours inévitable. Puisque c'est ainsi, les "Jeunes Turcs" mettent-ils en avant un programme politique

 

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