Colloque international du 10ème anniversaire
du Génocide rwandais

« The Lasting Peace in Africa »
Kigali (Rwanda) 17 avril 2004

Résumé en français du discours
de Sa Sainteté Aram Ier
Catholicos de la Grande Maison de Cilicie



Aram Ier à Harare

L’impunité génère injustice et violence par Sa Sainteté Aram Ier

  • Le XXe siècle fut le siècle des génocides dont la liste est d’une longueur déprimante : Arméniens, juifs, Cambodgiens, Kurdes, Tutsis, Croates, musulmans, Albanais. La communauté internationale fut toujours lente à réagir et souvent, tout simplement, elle les ignora. L’histoire est éloquente en ce sens. Le peuple arménien fut victime du premier génocide du XXe siècle. Durant la Première Guerre mondiale, un million et demi d’Arméniens périrent dans le cadre d’un programme d’extermination minutieusement conçu et systématiquement exécuté par le gouvernement turc-ottoman. De par leur expérience existentielle, les Arméniens connaissent bien les lourdes conséquences d’un génocide.

  • 1. Vers la prévention de nouveaux crimes contre l’humanité
    Aujourd’hui, les conflits ethniques déchirent de nombreuses sociétés ; la haine se durcit et s’érige en idéologie, tandis que la violence s’exprime sous ses aspects et ses formes les plus horribles. Seule la communauté internationale est capable de prévenir efficacement de nouveaux crimes contre l’humanité. Mais son intervention ne sera effective que si elle agit, immédiatement et avec force, là où de nouvelles situations génèrent des actes d’atrocité. Dans son intervention, elle sera mue par les valeurs morales et humaines et non par les intérêts géopolitiques et stratégiques. L’Organisation des Nations unies a fait d’importants progrès dans ses tentatives pour prévenir les génocides. En 1948, elle a ratifié la Convention sur le génocide suivie de la Déclaration des droits de l’homme. En 1998, 120 États ont établi la Cour internationale de justice de La Haye. Mais cette cour s’intéresse au crime qui a été commis et non à celui qu’il faut prévenir. La communauté internationale doit aller plus loin dans ses engagements que ces procédures juridiques. Elle doit imposer sa volonté politique ; elle doit mettre en place des systèmes de préalerte et développer la prise de conscience publique, l’éducation et le dialogue. Selon le cas, elle doit appliquer des sanctions diplomatiques ou économiques et, éventuellement, dans des situations extrêmes et lorsque tout autre moyen a échoué, recourir à l’intervention directe

  • 2. La mémoire du génocide : source vivante de vérité
    Les individus, de même que les nations, vivent avec leur mémoire, et la mémoire vit à travers eux. La mémoire fait le lien entre le présent et le passé ; elle conditionne le futur, assure la continuité et affirme l’identité. La mémoire c’est l’histoire même ; et les nations se forment autour de leur mémoire commune qui perpétue leur existence, maintient leur cohésion et leur donne le sentiment d’appartenance. La mémoire est une source vivante de vérité ; elle interpelle préjudices et informations incomplètes et développe la prise de conscience. Hitler a bien compris cet enchaînement. Il savait que les mémoires sont courtes lorsqu’il demanda : Qui aujourd’hui se souvient des massacres des Arméniens ? De nos jours certains pays, pour des raisons politiques, ne se « souviennent » pas du génocide des Arméniens et d’autres parlent de « prétendu génocide », cependant que le peuple arménien vit la mémoire du génocide dans sa vie quotidienne. La mémoire doit être partagée avec les autres non point comme expression de haine et d’intolérance mais comme interpellation, comme défi à avancer vers le repentir, le dialogue et le pardon.

  • 3. La reconnaissance du génocide : un pas vers la justice
    La vérité préservée par la mémoire doit être dite. « Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). Lorsque la vérité n’est pas reconnue, c’est le déni qui s’installe. Toute personne ou communauté ainsi que tout gouvernement qui refuse de reconnaître et d’assumer la responsabilité pour des actes de génocide est coupable de crime contre l’humanité. L’acceptation de la vérité et de la responsabilité d’un génocide demande beaucoup de courage. La personne, la communauté ou le gouvernement doit entreprendre une relecture de son histoire. Seul un tel processus d’autoévaluation, d’autocritique et d’autopurification peut permettre de cerner la vérité. Certains génocides du XXe siècle ont été reconnus ; d’autres sont toujours niés. Lorsqu’ils sont reconnus, des communautés ou des nations en conflit se dirigent vers le dialogue et la réconciliation. Mais pour que justice soit faite et que réussisse la réconciliation, la confession est indispensable, car elle est la condition sine qua non du pardon.

    4. L’impunité : un génocide continu
    Dans le cas où un génocide est nié, justice ne peut être faite qu’à travers une approche punitive. Selon de nombreux juristes, les systèmes criminels et les procédures juridiques actuels tiennent compte du criminel plutôt que de la victime. Or, la justice véritable ne peut régner que si les droits de la victime sont également reconnus. La justice restitutive est un développement nouveau dans le système criminel. Elle ouvre de nouvelles perspectives tant du point de vue de la prévention que des sanctions. C’est un système axé sur la victime ; le but éventuel qu’elle poursuit est de rétablir le dialogue entre le bourreau et la victime afin de les réconcilier. La commission « Vérité et réconciliation » d’Afrique du Sud est un exemple concret de ce processus. La justice restitutive doit aussi comporter une dimension de rétribution. La justice restitutive assure la cicatrisation, la guérison, en créant un espace pour le dialogue ; la rétribution rend possible la réconciliation. Pour qu’il y ait une justice véritable, il est indispensable qu’aient lieu réparation, restitution et compensation des victimes. L’impunité génère l’injustice qui, à son tour, donne naissance à des actes de vengeances, créant ainsi un cercle interminable de violences. Les criminels doivent rendre compte de leurs actions à l’humanité. De nombreux criminels n’ont pas encore comparu devant la justice ; or cette impunité signifie les amnistier de facto. S’il est possible d’amener à la justice des individus criminels, pourquoi serait-il impossible d’y amener des gouvernements et des nations ? La Conférence internationale, qui s’est tenue les 22 et 23 de ce mois au catholicossat arménien de Cilicie sous le haut patronage du président de la République libanaise, a tenté d’explorer et d’analyser les différentes dimensions et répercussions de l’impunité. Certains génocides du XXe siècle furent reconnus et il y eut rétribution. Par exemple, au Rwanda la justice rétributive est en train de s’établir grâce aux efforts conjugués des Nations unies, du gouvernement et du peuple rwandais. Cependant, le génocide arménien reste impuni. Une justice restitutive serait un modèle aussi bien dans le cas du génocide arménien que dans le cas d’autres crimes contre l’humanité qui attendent d’être résolus. Durant les cinquante-six dernières années, les Nations unies ont tenté d’appliquer la Déclaration des droits de l’homme en adoptant décisions et conventions relatives à des secteurs spécifiques des droits humains, y compris le génocide. Malheureusement, ces tentatives n’ont pas empêché des millions de personnes d’être victimes d’atrocités, de répressions et de génocide.

    L’humanité ne doit pas oublier les leçons douloureuses que nous apprennent les génocides du XXe siècle ; elle doit utiliser ces connaissances pour bâtir un monde où règne une paix juste, un monde où les mémoires sont réconciliées. La mondialisation interpelle les nations, les religions et les cultures, les engageant à établir entre elles un dialogue constructif. Reconnaissant la vérité et nous acceptant les uns les autres, nous devons dépasser le stade de la confrontation afin d’atteindre celui de la réconciliation. La négation et le déni ne peuvent ni promouvoir le dialogue, ni restaurer la justice, ni bâtir la paix, ni accomplir la réconciliation. Au cours du XXe siècle, l’humanité a payé très cher la politique du silence face au génocide. Elle ne doit pas rester silencieuse au XXIe siècle. C’est là la leçon douloureuse que nous portons en nous. C’est là aussi le grand défi que nous devons relever ensemble.

  • Source : page arménienne de Libanvision
à compléter