Chant final

Mon pays,
c'est une immense et lumineuse offrande
que sans cesse t'apporte l'infini ;
tes jours hostiles,
les voilà terrassés ;
morts, ils sont morts, tes chants de trahison.
Et dès lors que je suis à nouveau porte ouverte,
et qu'à nouveau je suis prunelle ouverte,
et que je demeure oreille ouverte,
le passé surgissant se dresse contre moi,
arborant l'innombrable effigie des ancêtres ;
surgissant, le passé me pénétre,
m'envahit, se condense au tréfonds de mon âme ;
image funèbre, il s'enflamme,

il se noie dans le vent,
s'éloigne, s'abolit, irréversiblement ;

et soudain le voilà qui ressurgit,
entraînant avec lui de funèbres images,
maints regards, maintes vies funèbres.

Et moi, je défonce toutes les portes closes,
je pose les bombes incendiaires de la parole
au pied des forteresses du mensonge ;
j'ouvre, je fracture sans trêve, je transperce,
je réduis en poussière toutes les cloisons du monde,
je fais éclater toutes les graines de la souffrance,
je laboure à la main, j'ouvre un sillon
dans les tribulations terrestres, j'ouvre
j'ouvre, je pourfends, je déchire,
je démasque l'ordonnateur, j'arrache
son bandeau, je mets à nu son visage,
afin qu'il voit comment s'écoulent
ici-bas, comment s'anéantissent
les rivières de sang, de fiel et de poison.

(Requiem).



"Chant final"
un très beau poème
de Razmig DAVOYAN
né en 1930
et conseiller culturel du Président Kotcharian,


Poème transcrit du livre :
"Poèmes de l'Arménie soviétique"
traduits de l'arménien par
Vahé Godel.
Collections d'étranges pays. N°11
Publications orientalistes de France.

Paris, 1977 pp 21-22.