Lettre ouverte aux organisateurs,
intervenants et partenaires du Colloque
du 30 Novembre 2005 à l'Unesco
Colloque international organisé par Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC)
en parténariat avec les associations des « Amis de l'hebdomadaire La Vie » et de la « Conférence mondiale des religions pour la Paix

"Culture du dialogue en France et en Turquie : Quels projets pour aujourd'hui ?"
  • Nous sommes le Centre de Recherches sur la Diaspora arménienne fondé en 1976 et nous avons organisé le Colloque international du 17 Juin 2000 au Sénat sur le dialogue arméno-turc concernant le génocide arménien de 1915. Nous ne pouvons que nous réjouir de tout travail qui encourage la culture du dialogue en France et en Turquie.

    La France a reconnu le génocide arménien par sa loi du 29 Janvier 2001 et nous ne pouvons que regretter que dans votre prochain colloque il n'y ait pas un intervenant d'origine arménienne qui puisse aborder le dialogue arméno-turc concernant le génocide de 1915 qui a été reconnu par
    - l'Organisation oecuménique des Eglises à Gen
    ève le 10 août 1983,
    - la Sous-Commission des Droits de l'Homme de l'ONU le 29 août 1985,
    - le Pape Jean-Paul II le 27 septembre 2001,
    - plusieurs pays d'Europe et d'autres Etats comme le Liban le 11 mai 2000 ou l'Uruguay le 26 mars 2004,
    - aux Etats Unis, 38 Etats de l'Union,
    - et tr
    ès récemment le Grand Rabbin d'Israël.

    Mais c'est surtout à l'époque des déportations vers les pays arabes, que l'Emir Husayn Ben Ali, de la Maison des Hachémites et Chérif de la Mecque, a très tôt condamné les massacres dans l'Empire ottoman organisés par le gouvernement Jeune-Turc. Le Gardien des Lieux Saints a émis des firmans en 1917 demandant à la nation arabe d'accorder la protection aux réfugiés arméniens en qualifiant les criminels de mécreants. C'est ainsi qu'à une réunion du
    9 Mai 1919 à l'Hôtel de Ville de Damas sous l'autorité de l'Emir Husayn, le prélat arménien représentant les réfugiés arméniens, n'a pas manqué de dire : "Le nom des Arabes sera inscrit dans l'Histoire des Arméniens en lettres d'or."

    Cependant quelques années plus tard, s'il est vrai que Mustafa Kemal fondateur de la Turquie moderne, n'a pas participé aux déportations et aux atrocités de 1915-1918 qu'il avait désapprouvées,
    une fois au pouvoir, il a néanmoins
    - fait voter des lois en 1922, 1923 et 1927 interdisant aux réfugiés arméniens de retourner chez eux dans leur pays ;
    - donné des postes officiels importants dans le gouvernement et dans l'administration de la jeune république turque à d'anciens criminels jeunes-turcs qui s'étaient honteusement enrichis de leurs forfaits.

    De plus, si Mustafa Kemal a pris des mesures pour moderniser la Turquie par des réformes, il faut rappeler aussi qu'il a mis de même en place un système opaque d'occultation des Génocides des Arméniens, des Assyrio-Chaldéens et des Grecs pontiques, un système organisé d'omissions intentionnées. En effet,

    - 1/ s'il y a eu adoption de l'alphabet latin, c'est aussi pour créer un écran avec les générations turques postérieures pour ne pas qu'elles puissent s'informer de l'organisation des exterminations en 1915 ;

    - 2/ si le voile islamique et le fez -le couvre-chef ottoman- furent interdits pour avoir une image vestimentaire à l'européenne, c'est surtout pour faire coller l'image des massacreurs aux autres orientaux de la région qui gardaient le costume traditionnel (les Arabes et les Kurdes) ;

    - 3/ s'il y a eu suppression du Califat en 1924, la raison non-dite de cette suppression était destinée à empêcher qu'un Calife autonome et imprégné de la tradition du Livre, contrairement à l'islam des Janissaires, puisse un jour condamner solennellement le génocide de 1915. Cela a été un crime contre l'Humanité et contre l'islam authentique. En effet, l'islam a été souvent calomnié par ignorance en Occident, d'être à l'origine du Génocide des Arméniens perpétré par le gouvernement jeune-turc de l'Empire ottoman -sous prétexte que ce dernier détenait le Califat. Rappelons de plus que le gouvernement jeune-turc avait décrété la Guerre Sainte le 15 novembre 1914 -ce que le Sultan Hamid II, qui avait pourtant fait massacrer plus de 200.000 Arméniens dans les années 1894-96, n'avait pas oser faire en déclarant le Djihad,

    - 4/ et, enfin, vouloir présenter ces réformes de Kemal Ataturk comme ayant mené la Turquie vers "la laïcité", c'est occulter le fait que la Turquie est aujourd'hui un État laïciste musulman avec une administration qui prend en charge la formation de ses religieux pour mieux servir son idéologie kémaliste : une idéologie nationaliste bétonnée en jacobinisme instrumentalisant un islam qui se trouve ainsi vidé de sa spiritualité transcendante .

    Si de telle mesures adminstratives ont cherché à faire table rase du passé ottoman tout en séduisant l'ego de l'Eurocentrisme, il n'empêche qu'il y a eu un génocide, c'est-à-dire une extermination préméditée et organisée, un crime contre l'Humanité et aussi contre l'islam : un crime imprescriptible qui a fait un million et demi de victimes -des dhimmis innocents. Ces victimes, déshumanisées, sont mortes dans l'anonymat, n'ont pas été enterrées religieusement. Leurs âmes errent comme des fantômes jusqu'à la reconnaissance du génocide de 1915 par la Turquie. Cette reconnaissance sera la mise en terre symbolique nécessaire qui mettra fin à l'enfermement génocidaire dont les descendants des victimes et des bourreaux sont prisonniers dans leur Inconcient collectif. C'est ainsi qu'avec la reconnaissance et la condamnation du crime nazi, les peuples juifs et allemands ont pu réussir respectivement leur travail de mémoire. Alors qu'avec le génocide de 1915, non seulement il n'y pas eu de reconnaissance ou de réparations, mais il y a eu impunité : une impunité qui a encouragé les génocides postérieurs. C'est ainsi qu'en 1939, Hitler avant d'envahir la Pologne a dit a ses troupes S.S. : Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?

    Alors qu'en Iran et dans les pays arabes, la commémoration annuelle du génocide de 1915 est respectée et encouragée par les autorités nationales, il n'en est rien en Turquie qui est un Etat pratiquant encore le négationnisme diplomatiquement, administrativement et avec un budget d'Etat. Ainsi, en Janvier 2004, des intellectuels turcs dénoncent le racisme antiarménien des livres scolaires et demandant le retrait des nouveaux manuels scolaires imposant les falsifications historiques. Aujourd'hui, le défenseur des droits de l'Homme Ragip Zarakolou qui édite des livres en turc sur le génocide armenien risque six mois de prison. Il est très regrettable que de tels défenseurs des droits de l'Homme qui sont de plus en plus nombreux en Turquie, malgrè les harcelements policiers ou les emprisonnements, n'aient pas été invités à ce Colloque du 30 Novembre 2005, comme auraient pu l'être les démocrates turcs, kurdes ou assyrio-chaldéens de France ou de Belgique.

    Nous voudrions dire -comme pourraient le dire les 500.000 Francais d'origine arménienne- que nous pensons qu'il y a eu de la part des trois associations organisatrices de ce colloque, lacunes ou ignorances : des ignorances concernant les conséquences dévastatrices dans la culture du dialogue quand il y a un Etat turc qui manifeste un négationnisme officiel. Nous regrettons qu'il n'y ait pas un seul intervenant franco-arménien à ce colloque. En effet, les spécialistes qualifiés ayant publié sur l'histoire du négationnisme du Génocide de 1915, sur la sociologie des réfugiés (et sur les conséquences psychanalytiques du déni de génocide), ne manquent pas en France. Nous ne pouvons imaginer qu'il y a eu mise à l'écart de tels spécialistes franco-arméniens ou qu'il y ait une application en deux-poids-deux-mesures de la Loi du 29 Janvier 2001. Ce serait une discrimination supplémentaire et inadmissible dans le paysage français actuel.

    Nous sommes persuadés qu'en 2006, à l'occasion de l'Année de l'Arménie en France, il y aura des associations franco-musulmanes qui ne manqueront pas d'organiser des conférences sur les riches relations historico-culturelles arméno-arabes au cours des siècles. Un geste fort de la part du Conseil Francais du Culte Musulman serait la condamnation ferme et sans équivoque du génocide arménien de 1915 et de ses négationnismes actuels. Nous sommes confiants dans le fait qu'un jour prochain, des autorités islamiques de France ou des associations franco-musulmanes exprimeront leur condamnation officielle de ce crime imprescriptible et de son négationnisme -car de plus, tout négationnisme de génocide ne peut qu'encourager la recherche d'impunité du terrorisme.

    Pour terminer, nous ne cesserons de rappeller que les Arméniens, attachés à leur Eglise apostolique qui fait partie des Eglises orientales, sont sensibles à l'amitié entre les peuples et aux efforts de Justice et de Paix. Les Arméniens et originaires arméniens apprécieront avec gratitude un tel témoignage de vérité, qui s'inscrira comme une étape inoubliable et incontournable dans le dialogue islamo-chrétien en France : un dialogue qui a existé dans les Eglises orientales dès les premiers temps de l'islam.


  • Jean-Claude Kebabdjian, Président-Fondateur du CRDA
    Nil-Vahakn Agopoff, chercheur au CRDA.

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-I.Présentation - II.Arménologie - III.Recherches-Analyses-Approches ADIC - IV.La vie arménienne en diaspora -V.La culture arménienne et l'Art - VI.Histoire - VII.Arménie(s) - VIII.Les différents environnements & l'Arménie - IX.Génocide de 1915 et enchaînements politico-médiatiques - X.Inconscient(s) collectif(s), Mémoire(s) et 1915 - XI.Religion(s) et Théologie(s)