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  • Bayreuth est la ville de plusieurs Wagner célèbres. C'est là que s'est retiré, à la fin de sa vie tumultueuse, l'illustre Richard Wagner. C'est là aussi qu'est mort le grand compositeur et pianiste hongrois Franz Liszt dont la fille, Cosima, fut l'épouse de R. Wagner. Aujourd'hui, c'est un autre Wagner, né dans cette coquette ville de la Bavière, qui nous intéresse - Moritz (Mauricius) Wagner, frère cadet du physiologiste Rudolf Wagner.

  • Géologue, naturaliste et voyageur bien connu, Moritz Wagner est né le 13 octobre 1813, la même année que son illustre homonyme, Richard Wagner. Il avait sept ans lorsque son père assuma le poste de recteur à la Faculté de médecine de Munich. Dès lors, sa vie fut rattachée à cette ville: il y fit ses études universitaires (à Erlingen); plus tard, il devint professeur honoraire de l'Université et membre de l'Académie; et enfin, le 31 mai 1887, il y mit fin à ses jours.

  • Le suicide de l'académicien de 74 ans était d'autant plus surprenant et inattendu pour ses contemporains que toute la vie antérieure du savant avait été un exemple de profond optimisme et de désirs toujours réalisés. Il avait souhaité de voir le berceau de l'humanité, l'Ararat de la Bible: il le vit; il avait projeté de visiter le bassin de la mer Noire, la Géorgie, le Caucase septentrional, l'Iran, la Turquie; il les visita et consacra un volume à chacun de ses voyages (parus entre 1836-1852); il souhaitait de voir l'Afrique: il put visiter ce continent mystérieux en 1836-1838; il traversa l'océan et se rendit en Amérique dont les régions tropicales et montagneuses firent le sujet de cinq volumes (1854-1870).

  • Il consacra un demi-siècle à la science, et ses études scientifiques n'ont pas encore perdu tout leur intérêt. En 1971, à Londres, trois volumes consacrés aux pays du Caucase et à l'Iran furent réédités en anglais. En dehors des livres, il légua aux générations futures des collections de plantes, de pierres, de sols et d'autres objets, rapportées des pays visités (dont l'Arménie) et confiées aux musées de Paris, de Vienne, de Munich. Il ne se contenta pas de ses seules investigations géologiques, il écrivit encore des monographies consacrées au darwinisme et devint un des adeptes de la théorie évolutionniste de Darwin en Allemagne.

  • Après avoir voyagé en Arménie orientale (1843) et en Arménie occidentale (1844), il fit paraître à Stuttgart et à Tübingen la monographie "Voyage vers l'Ararat et le haut plateau arménien" (1848) qui commence par ces mots: "Mon voyage en Arménie est resté dans ma mémoire comme un des épisodes les plus chers des trois années de ma vie passées à voyager en Asie. Peu sont les pays qui peuvent donner, au voyageur savant, au naturaliste, à l'archéologue, au folkloriste, plus riche matière à étudier qu'en donne l'Arménie, par ailleurs d'un accès si facile et si proche de l'Europe."

  • Ce qui décida M. Wagner de commencer son voyage oriental par l'Arménie, était le mont sacré dont le voyageur flamand Rubrück avait entendu parler au XIIIe siècle et dont il avait écrit: "Le mont Massis est la mère du monde." Cette "mère" a été chérie et visitée par de nombreuses générations d'hommes civilisés. En 1844, l'académicien Abich, venu en Arménie sur la recommandation de l'Académie impériale de Russie, avait dirigé ses regards vers l'Ararat et avait posé à l'humanité la question suivante: "Ce monument éternel des traditions bibliques est-il condamné à rester infiniment entre les mains des barbares?"

  • En 1844, M.Wagner entreprend vers l'Arménie occidentale un voyage financé par l'Académie des sciences de Berlin afin d'étudier la face méridionale de l'Ararat.

  • Le versant septentrional était assez bien connu, tandis que le côté méridional n'avait jamais encore été décrit. La route était dangereuse. Le savant voyageait armé. "Mes expéditions géologiques et entomologiques dans les environs de Bayazet furent interrompues d'une façon désagréable par l'attaque de trois brigands kurdes. Je me vis forcé de fuir vers les rochers... Je pensais au sort de mes prédécesseurs dans ces régions épouvantables. Je me remémorais Schûlz et Braun atrocement assassinés par leurs porteurs." Mais en dépit des difficultés, Wagner visita et fut le premier à décrire la face sud du mont Ararat. Ce fut là un exploit scientifique.

  • Lors de ses voyages précédents, le savant allemand avait gagné l'Arménie orientale via Tiflis. Quittant la capitale géorgienne le 1er mai 1843, il avait traversé Dilidjan, Sévan, Hrazdan et était parvenu à Erevan. En route, il avait étudié le relief des régions traversées, avait noté la nature volcanique du massif arménien, la flore et la faune, avait étudié et décrit la vie morale et politique, les moeurs des Arméniens, des Tatars, des Yezidis, des Molokans vivant en Arménie, la vie des fonctionnaires russes en service en Arménie. Il avait constitué des collections de plantes et de reptiles, avait étudié le lac Sévan et les régions environnantes, leur consacrant un chapitre spécial.

  • Pour le savant allemand, Abovian était une personnalité à l'échelle de la Transcaucasie. Et il ne se trompait pas, puisque Abovian a joué un rôle exceptionnel dans la propagation de la langue allemande dans cette région et a grandement contribué à faire connaître la Transcaucasie en Europe. Dès 1829 et jusqu'à sa disparition tragique en 1848, presque vingt années durant, il a accompagné comme traducteur et conseiller presque tous les Européens visitant la Transcaucasie, tout particulièrement les Allemands. A leur intention, il traduisit en allemand plusieurs oeuvres originales transcaucasiennes orales ou écrites, leur fit connaître l'histoire et la culture de la Transcaucasie. Dans son ouvrage "Voyage en Perse et au pays des Kurdes" (Leipzig 1852-1855. Londres 1856, 1971), M.Wagner reconnaît qu'Abovian l'a aidé à écrire un petit glossaire de la langue lesghienne et qu'il sait parfaitement l'azerbaïdjanais.

  • Considérant l'Arménie comme un des premiers pays convertis au christianisme, et oubliant que notre pays entouré de races hétérodoxes était privé des possibilités de développement qu'avait connues l'Europe chrétienne, Moritz Wagner, antérieurement à son voyage en Arménie, se représentait la cathédrale d'Etchmiadzine comme un bâtiment "aussi imposant et noble que la cathédrale de Strasbourg, sinon aussi gigantesque".

  • Dans le supplément d'une centaine de pages annexé au livre "Voyage vers l'Ararat et le haut plateau arménien", M. Wagner a consacré aux questions suivantes des entrées à part: la population de la Russie; l'émigration des Arméniens et leur expansion sur l'ancien continent; l'histoire naturelle du haut plateau arménien (météorologie, climat, géographie physique, géologie); observation sur les anciens volcans arméniens; la flore et la faune d'Arménie, etc. Tous ces sujets sont d'un grand intérêt scientifique.

  • D'importants renseignements concernant l'Arménie sont fournis également dans d'autres oeuvres de M. Wagner dont les titres ne mentionnent pas le nom de notre pays. Les renseignements sur les Arméniens contenus dans le livre "Voyage en Perse et au pays des Kurdes" sont de la plus haute importance pour les historiens d'art et les folkloristes.

  • La monographie "Voyage au Koghkis et dans les colonies allemandes de la Transcaucasie" (Leipzig, 1850), renferme des renseignements détaillés sur les Arméniens citadins. Lors de la visite de M. Wagner à Tiflis, les Arméniens prédominaient dans la population de cette ville. Sur la foi de renseignements de source officielle, il écrit: "11 n'y a pas moins de 42 églises à Tiflis... 23 appartiennent aux Arméniens grégoriens, 12 aux Géorgiens grecs-orthodoxes, 4 aux Russes, 2 aux Grecs et une aux Arméniens catholiques. Une des écoles de la ville était dirigée par Abovian... J'ai visité son école bon nombre de fois et ai toujours été agréablement surpris d'entendre les jeunes Arméniens et Géorgiens babiller en allemand, de les voir écrire en allemand, de les entendre réciter avec sentiment et une bonne prononciation des extraits de Goethe et de Schiller."

  • En rédigeant l'histoire de la Géorgie, il mentionne la tradition écrite géorgienne qui assure que les peuples de Transcaucasie descendent de sept frères de sang dont Haïus était le plus puissant et le plus influent. "Ce Haïus est le Haïk de Movsès Khorénatsi" précise M. Wagner.

  • On sait qu'Abovian entretint une correspondance avec M. Wagner jusqu'à la fin de sa vie. Il envoyait en Allemagne des renseignements concernant les ethnies habitant l'Arménie, et les problèmes touchant notre pays. Ainsi, le savant allemand a continué de vivre en pensée avec l'Arménie, même après l'avoir quittée. Le livre "Voyage vers l'Ararat et le haut plateau arménien" a paru dans l'année même de la disparition d'Abovian. Voici ce que M. Wagner écrit au sujet de son ami arménien: "Le destin de cet homme est très intéressant." Il avait écrit ces mots avant d'apprendre la nouvelle de la disparition d'Abovian, ce dernier coup porté par le destin. Abovian, à son tour, ne pouvait soupçonner la fin tragique de son ami allemand.

  • Tous les deux quittèrent ce monde brouillés avec la vie. Et si quelque chose était écrit sur leur front, cela devait se terminer par les mots "Mors immortalis" (Mort immortelle). Leurs services reconnus leur avaient assuré l'immortalité. Tous les deux connurent une fin mystérieuse qui devait émouvoir les générations futures, mais dont l'explication leur échapperait toujours. Le souvenir de ces deux êtres exceptionnels planera éternellement sur cette terre sainte qu'ils parcoururent ensemble dans tous les sens, et dont le nom sacré est gravé sur leurs oeuvres monumentales: "La Plaie de l'Arménie" et "Reise nach dem Ararat und dem Hochland Armenien ".
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à compléter
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