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I.Présentation - II.Arménologie - III.Recherches-Analyses-Approches ADIC - IV.La vie arménienne en diaspora -V.La culture arménienne et l'art - VI.Histoire - VII.Arménie(s) - VIII.Les différents environnements & l'Arménie - IX.Génocide de 1915 et enchaînements politico-médiatiques - X.Inconscient(s) collectif(s), Mémoire(s) et 1915 - XI.Religion(s) et Théologie(s)
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L'Arménien CACHADUR,
une bavure au temps de Louis XIV

Bernadette et Philippe ROSSIGNOL 

Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe
n° 131, janvier-avril 2002, p. 27-45.
Généalogie et Histoire de la Caraïbe
= GHC 167, février 2004, p. 4089 =
  • Avec l'aimable autorisation de Monsieur et Madame Rossignol, voici un article sur Khatchadour -le serviteur du Patriarche Avétik de Constantinople- qui avait été exilé à la Guadeloupe par Louis XIV...
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Les lecteurs assidus des fonds anciens de Guadeloupe ont été souvent intrigués par l'apparition, puis la disparition dans les années 1715-1720, d'un mystérieux Arménien, CACHADUR.

En Guadeloupe

  Or, tout à fait par hasard, à l'occasion d'une recherche dans les registres paroissiaux de Pointe-Noire (Guadeloupe), nous avons eu l'œil attiré par un acte du 23 septembre 1721 : l'enterrement au cimetière des blancs de la paroisse, de Nicolas, 4 ans, fils de Monsieur LACROIX, "arménien de nation", et Claire ROBLIN. Un Arménien en Guadeloupe, et précisément en 1721 ! Voilà une coïncidence curieuse... et une nouvelle piste de recherche.

  Voici donc, dans l'ordre chronologique des faits et à l'aide de longues citations des textes d'archives, la mystérieuse et triste histoire de l'Arménien CACHADUR.

 Le 30 décembre 1714, de Versailles, Monsieur de PONTCHARTRAIN, ministre de la Marine et des Colonies, écrit à Monsieur de LA MALMAISON, gouverneur de la Guadeloupe, puis à Monsieur le marquis DUQUESNE, gouverneur général, arrivé en Martinique le 24 novembre de la même année, et enfin à Monsieur VAUCRESSON, intendant :

    "Le Roy a donné ordre à Monsieur ARNOUL, intendant des galères à Marseille, de faire passer à la Martinique le nommé CACHADUR, arménien de nation (...). Sa Majesté désire qu'il fasse sa résidence à la Guadeloupe parce qu'il aura moins d'occasions d'en sortir que dans les autres îles" (précision donnée à DUQUESNE : "Comme il va peu de vaisseaux à la Guadeloupe, il sera facile de l'empêcher de s'évader s'il en avait envie...")". C'est un homme d'état qu'il est très important et de la dernière conséquence de retenir à la Guadeloupe, sans que, pour aucune raison que ce soit, il en puisse sortir. L'intention de Sa Majesté n'est point cependant qu'il soit retenu dans les prisons, mais au contraire qu'il ait une apparence de liberté, parce qu'Elle est persuadée que vous prendrez de si justes mesures qu'il ne pourra point s'évader. (...) Pour attacher cet étranger à la Guadeloupe pour toute sa vie et lui ôter l'envie qu'il pourrait avoir d'en sortir, je ne vois pas de meilleur moyen que celui de le faire marier, s'il est possible, et de commencer à le déterminer par le secours des missionnaires d'embrasser le christianisme. Je vous prie d'y donner tous vos soins.

    Sa Majesté lui a destiné une somme de 500 livres par an pour sa subsistance et son entretien (...) en argent (...). Vous aurez soin de me donner, toutes les fois que vous m'écrirez, des nouvelles de cet étranger".

 Le 26 mars 1715, le gouverneur de la Guadeloupe Monsieur de LA MALMAISON répond :

    "Le nommé CACHADUR, Arménien de nation, et la lettre que Votre Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire à son sujet, en date du 30 décembre 1714, m'ont été remis le 22 du courant. Pour m'assurer plus particulièrement de cet homme, en attendant que je puisse trouver occasion de le placer, comme Votre Grandeur le désire, je l'ai retenu chez moi avec mes domestiques blancs".

 Deux mois plus tard, le 24 mai 1715, le gouverneur précise :

    "Cet homme se gouverne sagement et même paraît dévot, assistant tous les jours au service divin. Il est retenu à parler sur ce qui le touche. Quand on veut le pousser, il allègue qu'il n'entend pas ce qu'on lui dit et qu'il ne peut répondre aux demandes qu'on lui fait".

    La MALMAISON a donc essayé, tout comme nous aujourd'hui, de comprendre et connaître cet homme qu'on lui parachutait sans autres explications, mais "l'homme d'état" gardait son secret. Il ajoute :

   "Les jours passés il m'a fait comprendre qu'il souhaiterait se marier (...). J'ai parlé à la fille qu'il veut avoir. Elle a sa mère qui est veuve. L'une et l'autre sont fort sages, mais sans biens. La fille paraît y consentir mais veut attendre qu'il puisse parler français pour pouvoir s'entendre l'un et l'autre. Cependant toutes deux allèguent que cet homme n'a pour tout bien que la pension de 500 francs que vous voulez bien lui accorder sa vie durant, que si, après avoir eu des enfants, il venait à mourir, ils se trouveraient dans la dernière nécessité".

 Un peu plus tard, une solution se présente (lettre du 2 août 1715) :

    "Le 24 juillet, il est mort en cette île un raffineur, allemand de nation, nommé Gabriel LUCKER, résident ici depuis dix-huit mois. Il pourra se trouver à sa succession 7 à 800 francs. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, d'en demander l'aubaine en faveur de l'Arménien CACHADUR. Cela lui aidera à avoir une maison et plus facilement une femme".

 Mais Louis XIV est mort le 1er septembre 1715. Le Régent, Philippe d'Orléans, lui succède. Le Conseil de Marine, qui vient d'être créé, reçoit la lettre du 2 août et, lors de sa réunion de janvier 1716, est informé de l'affaire (pas de précisions écrites) et il a "la bonté d'accorder le don d'une aubaine à cet estranger pour luy donner moyen de s'établir à la Guadeloupe."

 Ignorant encore ces décisions, LA MALMAISON écrit le 4 février 1716 au Régent pour lui résumer toute l'affaire et demander des ordres, en précisant qu'il n'a jamais rien touché de la pension de 500 livres promise. Et, le 4 mai 1716, il accuse réception d'une lettre du 31 janvier, qui s'était donc croisée avec sa propre lettre du 4 février, et remercie de la grâce faite à CACHADUR en lui accordant le don de la succession de Gabriel LUCKER; le même courrier du 31 janvier lui a porté la copie de l'ordre pour que la pension de 500 livres lui soit versée.

 Un an après, le 15 avril 1717, le gouverneur de Guadeloupe peut enfin annoncer : "L'Arménien CACHADUR s'est marié le 11 du courant".

 Or, nous trouvons à Mont Carmel, paroisse du gouvernement, ce même 11 avril 1717, "après les publications ordinaires et les autres cérémonies observées dans l'église romaine", le mariage "approuvé de Monsieur de LA MALMAISON, gouverneur pour le Roy de cette isle de la Guadeloupe, et ce, suivant les ordres du Conseil de Marine" du sieur LACROIX "natif de Constan" (sic; il s'agit certainement de Constantinople, les registres paroissiaux dont nous disposons sont, jusqu'en 1776, une copie faite alors des originaux maintenant disparus), fils du sieur MARGOÜES, marchand, avec la demoiselle Claire ROBELIN, native de Grande Terre, fille du sieur Nicolas ROBELIN et de la demoiselle JOURDIN.

 Notre intuition initiale à la lecture de l'acte du 23 septembre 1721 à Pointe-Noire s'avérait donc juste ! CACHADUR est devenu LACROIX.      D'où venait ce patronyme ? Peut-être le souvenir d'un sieur de LA CROIX que nous verrons plus loin.

 Les témoins du mariage sont MONT-SAINT-REMY, neveu de M. de LA MALMAISON, CHABERT, Louis BOUCHER de LONGPRÉ, LABADIE et BELLANGER. Et celui qui a présidé au mariage, apparemment à contre-cœur et sur ordre, est le Frère Henri de SAINT-SAUVEUR, carme.

 Lors de son rapport du 15 avril, quatre jours après le mariage, le gouverneur précise :
"Il est vrai que la fille qu'il a épousée n'est pas riche, mais elle est fort sage et d'honnête famille et la seule qui ait voulu se marier avec lui".

 Raison péremptoire ! Nous avons effectivement retrouvé en Grande Terre "la demoiselle Claire ROBELIN". Elle a été baptisée le 16 août 1695 à la chapelle de la Pointe d'Antigue (la pointe d'Antigue, c'est le nord-ouest de la Grande Terre), mais cette chapelle, comme une grande partie de la Grande Terre, terre de colonisation à l'époque, dépendait alors de la paroisse de Gosier où l'acte est enregistré. Un an avant, le 29 avril 1694, c'est dans la même chapelle de la Pointe d'Antigue que le curé de Gosier avait marié le sieur Nicolas ROBIN, "de la Guadeloupe" (c'est-à-dire de la Basse-Terre), fils du sieur Nicolas ROBIN, des Flandres, et de Jacqueline LAURET, de Picardie, avec dame Elisabeth JOURDAIN, de Dieppe, veuve du sieur Pamphile ANGOT et fille de Jean JOURDAIN et dame Elisabeth GOSSELIN. Signalons qu'à ce mariage le nom est écrit ROBIN, tandis qu'à la naissance de Claire il est écrit ROBBIN. Mais c'est la forme ROBELIN qui sera utilisée à Mont Carmel et plus tard celle de ROBLIN... Nous remarquons au passage les origines en France de l'épouse de l'Arménien CACHADUR : Flandres, Picardie, Dieppe.

 Après avoir rendu compte du mariage de CACHADUR, M. de LA MALMAISON ajoute : "Je lui ai remis ce qui est provenu du don que le Roi lui a fait de feu LIKAIR (sic) allemand". Mais il y a des contestations sur ce don dont il demande confirmation, en rappelant en outre que la  pension annuelle de 500 livres, promise le 30 décembre 1714 à l'arrivée de CACHADUR, n'a toujours pas été versée, plus de deux ans après. Or,  "s'il recevait ce qui est échu il serait en état de subsister honnêtement en employant son argent au négoce auquel il paraît fort entendu, aussi bien que sa femme qui est bonne ménagère".

 Le Conseil de Marine du 2 juillet 1717 statue sur cette lettre et sur le fait que le sous-fermier d'Occident s'est pourvu au Conseil pour faire révoquer ce don, accordé par brevet du 22 novembre 1715. Après avoir porté les faits à la connaissance de Mgr le duc d'Orléans (le Régent), la décision est prise le 6 juillet d'expédier une confirmation du don car "Sa Majesté n'a jamais révoqué ces sortes de don qu'elle a fait dans les isles", de remettre au gouverneur de Guadeloupe la pension de 1715 et de faire envoyer l'ordonnance pour celle de 1716, en envoyant aux Trésoriers de la Marine la copie des ordres de fonds dont les originaux leur ont été envoyés le 31 juin 1716. Enfin il marque à M. le chevalier de FEUQUIÈRES (qui va remplacer le marquis DUQUESNE comme gouverneur général des Iles) "d'avoir sur cet étranger la même attention que recommandée à Monsieur de LA MALMAISON".

 Las ! Le 1er mai LA MALMAISON est mort. Il a bien rempli sa mission de marier et fixer ainsi en Guadeloupe l'Arménien CACHADUR, mais le problème de la pension n'est toujours par résolu de façon concrète. Il y a de longs mois d'interrègne. En juin 1718, LA GARRIGUE de SAVIGNY arrive de Martinique en Guadeloupe comme lieutenant de Roi pour gouverner l'île en attente du nouveau gouverneur, le comte de MOYENCOURT, qui n'arrivera qu'en juillet 1719, plus de deux ans après la mort de LA MALMAISON. Rendant compte de la situation de l'île le 25 juin 1718, le lieutenant de roi La GARRIGUE de SAVIGNY écrit : "L'Arménien CACHADUR qui est ici par ordre du Roi est dans une très grande indigence, n'étant point payé de sa pension et chargé d'une femme et de deux enfants. Je le soulage en tout ce que je puis pour ne pas le désespérer et l'engager à prendre patience. M. de FEUQUIÈRES m'a mandé que le Conseil y avait attention et que sa pension lui serait régulièrement payée dans la suite, ce que je lui ai assuré et dont il paraît content". Mais le 28 avril 1719, le sieur CACHADUR réclame toujours en vain le paiement de la fameuse pension… L'a-t-il reçue enfin un jour ? Plus rien sur lui désormais dans la correspondance.

 Ce sont les registres paroissiaux qui prennent le relais.

 Nous n'avons pas trouvé à Mont Carmel la naissance du petit Nicolas, qui meurt à 4 ans, le 23 septembre 1721, ni celle du deuxième enfant dont parle La GARRIGUE de SAVIGNY, le 25 juin 1718. Peut-être d'ailleurs s'agissait-il de jumeaux, car le mariage avait eu lieu, rappelons-le, le 11 avril 1717. En revanche, on trouve, toujours à Mont Carmel, le baptême de Geneviève, le 1er août 1720, "fille légitime de LACROIX et Claire RODELIN" (sic), née le 11 juillet. Le parrain est le sieur Adrien VANDESPIEGLE (fils d'un gros sucrier protestant d'origine hollandaise converti avant 1687), la marraine, Mademoiselle Geneviève NEAU.

 Dès l'année suivante, la famille LACROIX quitte Mont Carmel pour s'établir à Pointe-Noire. CACHADUR a-t-il enfin reçu sa pension ? Le petit Nicolas meurt le 23 septembre 1721 (il est inhumé au "cimetière des blancs") et, quelque cinq ans plus tard, le 16 juin 1726, on baptise à Pointe Noire Pierre, fils "du sr Cachadeure La Croix d'Arménie et dlle Claire Robelin", dont le parrain est le sieur Yves ROYER et la marraine Mlle Marie RAVERSEAU. Il faut attendre encore cinq ans pour trouver, le 30 mai 1731, le baptême de Séraphin, né le 14, fils du sieur LACROIX, arménien de nation, et de Claire ROBLIN; son parrain est le sieur Séraphin de BLAINE, marchand au bourg, et sa marraine demoiselle Marie-Rose DENEU, épouse du sieur LE MACHOIX, aussi marchand au bourg. Il semble donc que le don pour le négoce de CACHADUR, hérité de son père MARGOÜES et indiqué par LA MALMAISON en avril 1717, ait trouvé à s'exercer.

  Un an après la naissance de Séraphin, le 30 septembre 1732, le curé de Pointe-Noire donne la sépulture ecclésiastique "au nommé LACROIX, dit arménien ou constantinopolitain", époux de Claire ROBLIN, âgé d'environ 60 ans. Il y avait donc 17 ans et demi qu'il était arrivé en Guadeloupe, à l'âge de 42 ou 43 ans, et il y avait 23 ans de différence entre les époux.

  Le sieur LACROIX laissait à sa veuve, alors âgée de 37 ans, au moins trois enfants, Geneviève, douze ans, Pierre, six ans, et Séraphin, un an. Nous n'avons pas retrouvé trace de la famille à Pointe-Noire : c'est à Sainte-Rose qu'ils sont allés s'établir, encore plus au nord dans la Basse Terre. C'est là que Geneviève épouse, le 24 novembre 1740, Barthélemy ÉTIENNE, maître chirurgien, plus âgé qu'elle de quinze ans, natif de "Trese" ou "Dres" en Provence (peut-être Trans en Provence, près de Draguignan) dont elle a trois fils : Jean (né le 2 et baptisé le 7 janvier 1741; parrain Jean Baptiste Serviat, chirurgien; marraine Marguerite Laplaine Charbonné), Pierre Barthélemy (né le 24 octobre 1742 et baptisé le 7 novembre; parrain Pierre Boucher d'Avrigny; marraine Fillette Mauvif) et Michel Joseph (baptisé le 14 novembre 1744; parraine Michel André Doenel, marraine Madeleine Baroche); il meurt à 15 ans, le 11 juillet 1759, "d'une mort subite".

  Geneviève LACROIX épouse ÉTIENNE perd sa mère le 13 mai 1742 ("veuve de M. LACROIX, arménien de nation, âgée de 58 ans", dit le curé de Sainte-Rose), quelques mois avant la naissance de son second fils. Elle est veuve en 1746, deux ans et demi après la naissance de son troisième fils, et se remarie, le 3 février 1753, toujours à Sainte-Rose, avec Durand DERCUSE, un marchand de "Vernon en Auvergne, diocèse de Saint-Flour" (peut-être Vernols, dans le Cantal) qui a 53 ans alors qu'elle en a 33. Il ne semble pas qu'il lui ait donné d'autres enfants et il meurt le 18 juin 1760. Geneviève meurt à son tour, à Sainte-Rose, le 16 février 1771.

  Nous ignorons ce que sont devenus Séraphin et Pierre, les jeunes frères de Geneviève. C'est peut-être l'un d'eux qui meurt le 27 décembre 1763 à Sainte-Rose. Le curé indique simplement qu'il a enterré "un pauvre blanc nommé LACROIX, créole de cette île, mort sur une habitation entre la Viard et la Moustique". Il ne resterait comme descendants de l'Arménien CACHADUR dans la seconde moitié du XVIIIème siècle que les deux fils aînés de sa fille Geneviève : Jean et Pierre Barthélemy ÉTIENNE.

  Nous n'avons pas poussé plus loin la recherche et nous faisons appel aux lecteurs généalogistes : qui descendrait de l'Arménien CACHADUR, devenu le sieur LACROIX ?

Le mystérieux prisonnier du Mont Saint-Michel

      Nos recherches en étaient là en 1993 et nous pensions ne jamais trouver la raison de cet envoi en Guadeloupe de Cachadur qui gardait, en Guadeloupe, un silence obstiné sur son passé.

      Dans les registres du Conseil de Marine sur lequel nous comptions, nous avons seulement appris (janvier 1716) que "le Conseil a été informé de l'histoire de cet étranger pour la subsistance duquel on expédie un ordre sur les dépenses secrettes de la somme de 500 livres par an payables à Mr de LA MALMAISON". Nous avons vu plus haut que, et c'est un des problèmes des "fonds secrets"…, l'argent n'est jamais arrivé aux Antilles. Et l'affaire est si "secrette" que l'information n'a été donnée au Conseil que par oral, sans que rien ne soit transcrit dans le compte-rendu.

      Mais voilà que Jean-Paul Hervieu, récemment nommé directeur des archives de la Manche après avoir dirigé longtemps celles de la Guadeloupe, découvre dans le fonds de la bibliothèque un livre de 1933 d'Étienne Dupont "Les légendes criminelles de l'histoire - La Bastille des mers - Les exilés de l'ordre du Roi au Mont Saint Michel (1685-1789)".

  Il y est raconté l'histoire d'AVEDICK, un "personnage mystérieux" envoyé au Mont le 15 novembre 1706 par une lettre de cachet. Son identité ne serait révélée au prieur que "si besoin était, en temps utile"; il devait prendre les mesures nécessaires pour prévenir une évasion mais sans user de moyens "susceptibles d'être préjudiciables à la santé de l'exilé".

  On croit relire ce que nous connaissons des instructions données pour Cachadur !

      Le prieur installa donc son pensionnaire au troisième étage de la Tour Perrine, dans une cellule "bien aérée, spacieuse", éclairée par une large fenêtre grillée orientée au sud.

      Bien que parfois présenté par des guides et historiens comme le "Masque de fer", ce prisonnier, envoyé par le sieur MONTMORT, intendant des Galères à Marseille, "n'était autre qu'Avedick, patriarche des Arméniens".

      La notice résume l'histoire (que nous détaillerons plus loin) d'AVEDICK VERTABIED, né vers 1646 à Tocate, qui se consacra à l'étude des doctrines de l'église arménienne, alors divisée entre les catholiques, végétant à Constantinople sous le patronage des ambassadeurs et missionnaires occidentaux, et les schismatiques, les plus riches, soutenus par le Divan (le gouvernement turc). Avedick, intrigant, louvoya entre les deux, se fit nommer archevêque et contrecarra la politique de Louis XIV en Orient : "il fut enlevé de force, embarqué sur un petit bâtiment de commerce, conduit secrètement à Marseille et enfermé à l'arsenal." C'est de là qu'il fut envoyé vers le Mont Saint-Michel.

      Le 19 janvier 1707, le prieur reçut une longue dépêche du ministre PONTCHARTRAIN, lui recommandant de ne pas se "laisser surprendre par sa fausse dévotion" car "c'est le plus grand persécuteur que le rite latin ait eu au Levant depuis un très long temps; il a fait chasser tous les évêques arméniens qu'il a sus dans des sentiments orthodoxes pour en substituer d'hérétiques à leur place et mettre beaucoup de prêtres et autres qui avaient embrassé le rite latin sur les galères du Grand Seigneur". Vrai ou faux ? Nous ne pouvons en juger. La lettre se termine en disant que personne ne devait savoir "ni son nom ni d'où il venait, avant Marseille."

      On tâcha d'en savoir plus sur lui en cherchant un confesseur "assez habile dans les langues orientales"… que le prieur ne trouva pas, ce qui "surprit" Pontchartrain. 

     Louis XIV finit par sommer "M. de FERRIOL, son ambassadeur à Constantinople, instigateur et exécuteur de l'enlèvement du patriarche, de s'expliquer nettement sur ce qu'il reprochait à Avedick." Les explications ne durent pas satisfaire car Avedick fut transféré à la Bastille, toujours "dans le plus grand mystère", avec des ordres "donnés verbalement et anonymement." 

     Finalement le roi signa la révocation de la lettre de cachet et Avedick se retrouva, seul, dans une petite maison de la rue Férou où il mourut dix mois plus tard, le 21 juillet 1711.

      Et CACHADUR ? Quel rapport avec le patriarche arménien ? C'est précisément la fin de la notice qui avait attiré l'attention de l'ancien directeur des archives de Guadeloupe, fin connaisseur de l'histoire de l'île : "Son fidèle domestique, CATCHADOUR, qui n'avait pu le rejoindre dans sa prison et qui avait été lui-même enfermé dans la citadelle de Saint-Nicolas de Marseille, obtint de sortir de la geôle, mais on lui imposa un exil à la Martinique (sic). Il est vrai qu'on lui promettait de lui chercher une femme pour digne récompense de sa fidélité."

  L'auteur termine sur cette "lamentable affaire" en précisant que "les frais furent péniblement payés par le Trésor royal puisque, en 1711, l'officier et les archers qui avaient amené de Marseille au Mont Saint-Michel le mystérieux prisonnier n'avaient pas reçu un liard."

      Décidément, l'histoire se répète.

      Jean-Paul Hervieu joignait à la copie de la notice ci-dessus qu'il nous adressait celle consacrée à AVÉDICK dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique de Mgr Alfred Baudrillart. La vie du patriarche est longuement détaillée, à partir de son "autobiographie" et de diverses sources, que nous n'avons pas consultées.

      Petites précisions qu'apporte cette notice à la précédente : son lieu de naissance est écrit Tokat (Turquie d'Asie) et il était "vardapet" (patriarche ?), qui a dû être transcrit "vartabied"; ce n'était donc pas son nom mais sa fonction.

A la Bastille

      Munis des sources d'archives, nous nous sommes d'abord rendus à la Bibliothèque de l'Arsenal qui détient les archives de la Bastille et nous n'y avons retrouvé qu'une seule courte pièce, de 1711 le "procès verbal dressé par M. d'Argenson contenant enquête sur la vie et la mort de M. Avedik Vertabied, patriarche des Arméniens de Constantinople et de Jérusalem."

      En fait, le texte complet fait partie d'un manuscrit du "recueil de la bibliothèque de M. de Paulmy", toujours à l'Arsenal. Ce M. de Paulmy, c'est Marc René de VOYER de PAULMY, chevalier marquis d'ARGENSON, conseiller ordinaire du roi en son conseil d'état, lieutenant général de police de Paris". Il est du 15 septembre 1711 et a été établi à la demande de Pontchartrain qui, ayant appris le décès du patriarche, avait demandé des témoignages sur sa vie à Paris. Nous avons confronté ce texte aux documents de Marine B/7, Levant et Barbarie.

  Arrivé à la Bastille le 15 janvier 1710, il n'y a vu que son gouverneur, M. de BERNAVILLE, l'abbé RENAUDOT et M. de LA CROIX PETIT, secrétaire interprète du Roi "en langues arabe, turque et autres orientales".

  M. RENAUDOT (l'abbé Eusèbe Renaudot, prieur de Chasteaufort et de Frossay), un des quarante de l'Académie française, témoigne (après le décès d'Avedick) avoir eu de fréquentes conversations avec lui depuis 1710 "au sujet des principes de la Religion et de la croyance ortodoxe", par l'entremise de M. de LA CROIX PETIT, Avedick ne parlant que le turc et l'arménien. Il lui a donné des livres arméniens pour l'instruire puis l'a amené à l'Archevêque de Paris, cardinal de NOAILLES, "dans un habillement décent", "dans un carrosse fermé afin d'éviter tout éclat et le concours du peuple", puis, en la chapelle de la maison de Conflans du cardinal, le 22 septembre 1710, il a fait profession de foi catholique, renonçant "au schisme de l'église grecque".

      C'est sans doute à cette époque de sa conversion qu'il a dû rédiger son autobiographie, publiée en arménien et en français, dont la version devait différer de ce qu'on avait raconté au roi et être assez convaincante pour que, peu après il soit autorisé à sortir de la Bastille. Il logea sept à huit mois chez le sieur de LA CROIX qui l'accompagnait à ses promenades, visites, à la messe et aux vêpres à Saint-Sulpice et à Notre-Dame. On peut remarquer au passage le patronyme de l'hôte et interprète d'AVEDICK : le sieur de LA CROIX aurait-il été envoyé par la suite à Marseille comme interprète à CACHADUR lequel, par reconnaissance, aurait repris son patronyme une fois converti à son tour, mais en Guadeloupe ?

  Avedick fréquentait fort souvent le monastère des Carmes Déchaussés du quartier de Saint-Germain des Prés où il célébrait la messe jusqu'à sa maladie et il souhaitait vivement se rendre auprès du Pape.

  Dès sa mise en liberté, il demanda "avec empressement les hardes et livres" remis en arrivant à Marseille en octobre 1706 et dont l'inventaire avait été fait par le contrôleur des galères BLONDEL de JOUVENCOURT. On demande à ce dernier le 15 avril 1711 d'en faire "des ballots portatifs que vous ferez plomber par les commis des fermes" et de les envoyer à Paris. Rien ne dit s'il les a finalement reçus avant de mourir.

      En effet le manuscrit de la bibliothèque de M. de Paulmy donne des renseignements très précis sur son état physique.

  Le sieur AIGNAN, docteur en médecine de la faculté de Paris, l'a vu depuis décembre 1710 chez M. de La Croix et l'a guéri d'une enflure oedémateuse aux jambes. Mais il a refusé de suivre le régime conseillé, s'est fait saigner "copieusement et sans modération jusques à cinq fois en différents temps", se servait "d'un opiate de son pays appelé opiate de l'évesque qui le purgeait extraordinairement et le mettait dans la dernière faiblesses". Il prenait aussi des lavements "composés de feuilles de couleures (?), d'eau-de-vie, de vin, de vinaigre et de miel et même de son opiate qu'il dissolvait dans lesdites liqueurs." Il a passé "une partie de l'été à étudier dans le jardin à l'injure du temps pendant la pluye le vent et autres incommodités de l'air."

      L'enflure des jambes recommença à ce régime. Le mercredi 15 juillet, ayant parfaitement soupé, il monta dans sa chambre et prit seul son lavement "perdit quantité de sang par le fondement et vomit son repas." Le médecin appelé lui trouva le ventre tendu et lui donna des remèdes qui le soulagèrent un peu. Le samedi, la douleur se porta sur les reins et le dimanche aux deux côtés des hypocondres. Un peu soulagé par des remèdes il se leva, mangea légèrement, se recoucha et "resta toute la nuit les fenêtres ouvertes, nu en chemise sur son lit sans couverture, de manière que la sueur chaude dans laquelle il était se refroidit." Le lundi on lui administra les sacrements et il resta paisible jusqu'à la fin. Des cicatrices récentes aux bras droit et gauche montraient qu'il s'était saigné lui-même.

      Le nommé JARDIN, chirurgien privilégié, témoigna en effet l'avoir saigné cinq fois depuis six mois à sa demande, la dernière le 22 mai.

      Son confesseur (à la demande du cardinal de Noailles) Abdelahadd dit Dominique, fils de David, natif d'Arbeker, de la nation des Chaldéens, de la famille du patriarche Joseph Chaldéen, le confessait tous les samedis.

      Le 21 juillet 1711, convoi et inhumation dans le chœur de l'église Saint-Sulpice de "Illustrissime et Révérendissime Père en Dieu Monseigneur Avedick Vertabied, natif de Tocat en Arménie, Archevesque et cy devant patriarche de Constantinople et du monastère de l'apôtre Saint Jacques où sa tête est déposée, des Arméniens de Jérusalem, et prieur du monastère Garbousi au mont Sepeu et d'Erzengan, âgé de 54 ans ou environ, décédé le même jour rue Férou en la maison de Monsieur de la Croix"…

      On annonce aussitôt le décès au comte DES ALLEURS, alors ambassadeur à Constantinople : il est mort "dans la maison bourgeoise où il était entretenu aux dépens de Sa Majesté en attendant l'occasion de le faire passer à Rome." Cette nouvelle est pour lui seul, sauf s'il juge utile de la divulguer. On lui demande d'attendre les "actes juridiques auxquels on travaille pour justifier que cet étranger a joui d'une entière liberté aussitôt qu'il a su se faire entendre et connaître, qu'il a persisté en mourant dans la profession de foi qu'il a faite il y a près d'un an de son bon gré entre les mains de M. le cardinal de Noailles et que sa mort n'a été ni violente ni prématurée mais causée seulement par l'usage immodéré qu'il faisait en son particulier et à l'insu même de son hôte d'eaux de vie et autres drogues malfaisantes." L'ambassadeur est prié, si on l'interroge, d'insister sur son abjuration, son empressement à aller à Rome et sur le fait que, "bien loin d'avoir approuvé les procédés irréguliers que des particuliers peuvent avoir tenus à l'égard de ce disgracié, (Sa Majesté) a au contraire ordonné qu'il fût traité avec toutes sortes d'humanité sur le premier récit qu'il a pu faire comprendre de ses aventures."

  Les actes qui seront envoyés à DES ALLEURS ont pour fin de "convaincre les Turcs que le pauvre AVEDICK, dans ses infortunes qui sont assurément particulières, a trouvé un asile en France autre qu'un Français disgracié n'en pourrait espérer dans les états du Grand Seigneur."…

      Rien dans ces tristes récits de fin de vie ne nous éclairant sur les raisons de son enlèvement (et encore moins sur son domestique CACHADUR), nous avons voulu remonter à la source, c'est-à-dire au marquis de FERRIOL, envoyé extraordinaire en Turquie d'avril 1692 à août 1698 puis ambassadeur de mai 1699 à décembre 1709 (suivi de Pierre PUCHOT comte DES ALLEURS de 1710 à 1716 puis du marquis de BONNIAC de 1716 à 1724). Pour cela il nous fallait nous rendre aux archives des Affaires Étrangères, au Quai d'Orsay... et tâcher de comprendre un autre monde.

En Turquie

Ce M. de FERRIOL était un curieux personnage. Le marquis de BONNIAC éprouva le besoin de rédiger en 1724 un "Mémoire historique" sur son ambassade "remarquable par les différents incidents auxquels elle a été sujette", considérant "qu'il serait agréable à ceux qui lui succèderaient un jour de ramasser tout ce que j'ai appris de lui-même ou des gens qui se trouvaient pour lors à Constantinople".

      Originaire du Dauphiné, M. de FERRIOL eut une aventure amoureuse "avec une fille d'une maison considérable en France" et dut se retirer en Pologne auprès du marquis de BÉTHUNE, beau-frère du Roi de Pologne et ambassadeur. Grand joueur et soupçonné de tricherie par M. KRAZCIMSKI, starosta de Varsovie et gendre du grand général de Pologne DIABLONOSKI, qui perdit beaucoup d'argent et ne voulut pas le payer, il dut partir pour la Hongrie servir dans les troupes du comte TEKELY plusieurs années. Puis, voulant prendre la place de l'ambassadeur de France en Turquie M. de CHATEAUNEUF, il profita de l'inclination de celui-ci pour les manières des Turcs (il "avait quitté l'habit français et s'habillait à la longue") pour le calomnier en insinuant que cela allait jusqu'à la religion. Chateauneuf rappelé, M; de Ferriol fut nommé à sa place (1699) "grâce à l'autorité que Mme de CROISSY avait sur son fils (…) et la faiblesse que ce ministre avait pour Mme de FERRIOL."

      En Turquie, il y eut plusieurs "affaires" : celle de l'épée de bretteur qu'il tenait à porter, celle du caïk à tendelet qu'il se fit construire pour se promener sur le canal, privilège des seuls Grand Seigneur et Grand Vizir et des femmes du sérail, et beaucoup d'autres "affaires" encore, sans compter celles avec les ambassadeurs des autres princes chrétiens, en particulier celui de l'empereur.

      Ibrahim, capitan Pacha, était si irrité contre lui qu'il envoya en France un de ses officiers pour demander son rappel, sans succès car il était si puissamment appuyé à la Cour que M. de PONTCHARTRAIN n'y prêta aucune attention.

      "Une des choses les plus extraordinaires qui soient arrivées pendant l'ambassade de M. de Ferriol est l'enlèvement d'AVEDIK patriarche des Arméniens schismatiques.

      Ce patriarche était l'ennemi mortel de notre religion et l'auteur de la cruelle persécution que les Arméniens catholiques avaient soufferte. Ceux-ci, à force d'argent, trouvèrent moyen de le faire exiler, par le conseil du Père BRACONIER, jésuite, qui était à Constantinople, et par l'entremise du père TARILLON, aussi jésuite, qui était à Chio. Ils s'imaginèrent que, pour se défaire entièrement de cet homme, il fallait gagner le Chiaoux qui était chargé de le conduire en exil et faire trouver une barque française à la hauteur de Chio qui le conduirait en France où il serait mis dans une prison d'où il ne pourrait jamais sortir. Cette entreprise, tout extraordinaire qu'elle paraisse, fut fort bien conduite par le sr BONNAL, pour lors consul à Chio. Avedik arriva en France. Il fut conduit d'abord au Mont Saint-Michel et de là à la Bastille où il est mort.

      Ses partisans, n'entendant point parler de lui, attaquèrent le Chiaoux qui l'avait conduit et, le Grand Vizir lui ayant fait donner la question, il avoua qu'Avedik avait été embarqué à Chio dans une barque française. On envoya un Capidgi Bachi à Chio pour interroger le Consul. Il se défendit bien et quoiqu'on ait parlé de cette affaire à diverses reprises, elle n'a eu aucune suite et paraît absolument éteinte par la longueur du temps.

      Il n'est pas sûr que M. de Ferriol ait eu d'abord connaissance de ce projet qui est certainement l'ouvrage des Arméniens conduits par les jésuites. Mais il est vrai que, la chose ayant réussi, ils lui conseillèrent, pour se mettre à couvert des suites, de s'en faire honneur, ce qu'il fit."

      M. de Ferriol se montrant de plus en plus violent, M. DES ALLEURS fut sollicité pour le remplacer, ce qui ne se fit pas sans mal et aboutit grâce aux intrigues de sa femme, Madame de LUTZELBOURG, d'une très ancienne maison d'Alsace.

      En ce qui concerne les Arméniens, des "Réflexions particulières" rédigées en 1709, exposent qu'il y a des "raisons d'intérêt d'état à faire rentrer la nation arménienne dans un calme durable." Ils sont en effet en nombre de plus en plus considérable dans l'empire ottoman et gênent le commerce avec les puissances étrangères. "Ce sont eux seuls qui sont maître du négoce de Perse, ils font aussi commerce en Hollande, en Espagne, à Gênes, à Livourne, à Venise, en Pologne, en Moscovie, etc." (rappelons le don pour le commerce de l'arménien Cachadur).

      Comme notre intérêt se portait sur CACHADUR, nous n'avons pas étudié les archives et publications concernant Avedik, ni sa version des faits dans son "autobiographie" qui avait convaincu Versailles de le "désembastiller" et qui a été publiée en arménien et en français. On se reportera à la notice du Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique.

      Quand on consulte les lettres de Ferriol dans la Correspondance Politique, on trouve de fréquents rapports sur cet Avedik, "homme hardi d'un esprit remuant" arrivé à Constantinople en décembre 1701, "esprit brouillon" protégé du Moufty (février 1702), lequel fait déposer le patriarche Ephraïm pour le remplacer en avril par Avedik, dont Ferriol demandait l'exil.

      Pour maintenir la paix entre les Arméniens de rite latin et "les autres", Ferriol empêche la publication du livre du père RICART, jésuite, rédigé en arménien, où il parlait de controverses :

 "Je devais conformément aux ordres de Sa Majesté, modérer le zèle des Missionnaires qui s'embarrassent peu des troubles qu'ils excitent et qui laissent le soin aux Ambassadeurs de les apaiser."

Fureur du père BRACONIER que tente de calmer Ferriol :

 "Je fus à la fin obligé de lui dire qu'un bon sujet ne parlerait pas de la sorte à l'Ambassadeur de son maître et que ses emportements joints à sa conduite passée me faisaient voir qu'il était allemand et des plus mauvais. En effet, il est né sur les bords du Rhin et il s'est adressé contre mes ordres à l'Ambassadeur de l'Empereur pour obtenir de la Porte l'église de Chio."

Avedik se calme un temps et, en juin 1702, Ferriol peut écrire à Pontchartrain que "la persécution des Arméniens catholiques est entièrement finie. Les trois prêtres qui étaient au bagne du Grand Vizir ont été mis en liberté; il n'y a plus que le patriarche SOUPY à retirer."

      Mais les Arméniens les plus riches veulent faire déposer Avedik qui n'est "soutenu que par le peuple." (juillet-octobre 1702). Il a même été "bien battu à Andrinople par les propres Arméniens et mis en prison six jours durant par les ordres du vizir" puis libéré par le Moufty.

"Il avait obtenu un commandement pour mettre au bagne du Grand Vizir les trois prêtres arméniens que nous en avions retirés. Il prétendait d'eux des sommes considérables. J'ai été obligé de les réfugier dans le Palais pour les mettre à couvert de la persécution d'Avedik dont les intentions étaient peu sincères. Je me suis toujours défié de lui mais il était protégé du Moufty et j'ai cru devoir garder quelque mesure. C'est un cahos (sic) infini que les affaires des Arméniens. Ils ne songent que de remplir les premières charges de leur Nation aux dépens de la bourse publique. Je ne puis pas entrer dans toutes leurs discussions. Mon seul but est d'empêcher qu'on ne persécute les catholiques sous le nom de français et latins" (3 novembre 1702).

"Il y a une division horrible entre les Arméniens. Ils sont partagés en trois factions, l'une pour Avedik, l'autre pour Minas qui était patriarche de Jérusalem et la troisième pour Karsac patriarche de Sissen. Ils se font entre eux une cruelle guerre et l'on voit arriver tous les jours des commandements pour en emprisonner plusieurs. Il y en a une infinité dans le bagne du Grand Vizir, catholiques et hérétiques, qui n'en sortiront pas qu'il ne leur en coûte considérablement. Ils ont accoutumé les Turcs aux présents, on ne leur laissera pas perdre cette habitude" (4 novembre 1702).

      Le temps passe et rien ne change. On en arrive à l'enlèvement d'Avedik raconté plus haut et, le 6 mai 1706, Ferriol écrit (comme le lui avaient suggéré les Jésuites qui avaient machiné l'affaire),

"Avedik, ce patriarche hérétique qui nous avait fait tant de mal, est enfin tombé entre mes mains. On doit le porter à Marseille. Je supplie très humblement Votre Majesté d'ordonner qu'il soit emprisonné jusqu'à ce que j'aie rendu compte de toutes ses perfidies et de tous ses crimes."

"Les Turcs n'aiment pas avoir les Arméniens en paix; leur discorde les enrichit et Avedik avait toute l'industrie qu'il fallait pour les contenter et pour se maintenir aux dépens des riches Arméniens catholiques qu'il faisait mettre à la chaîne dès qu'ils refusaient de payer les taxes qu'il leur imposait. Un mois avant sa détention, il eut la hardiesse de venir me voir. Il se fit accompagner de 300 Arméniens. Je lui dis que la main de Dieu s'appesantissait sur lui, qu'il était plein de crimes et d'impiétés et que le Seigneur se servirait peut-être de moi pour le châtier. (…) Je ne demande pas la mort du pêcheur mais il est juste qu'il fasse pénitence."

      Mais le bateau qui emporte Avedik s'arrête (juin 1706) à Messine où il est retenu par le ministre espagnol de l'Inquisition. M. de Ferriol répond aux attaques des officiers de la Porte qu'on ne le lui avait pas donné en garde "et que le bâtiment sur lequel il avait été embarqué avait été pris par les corsaires anglais ou hollandais que le Grand Seigneur souffrait venir tous les jours jusqu'aux Dardanelles contre les intérêts de sa souveraineté et au préjudice de ses douanes."

      En réalité, comme l'écrit le ministre à Ferriol le 15 septembre 1706, "la barque qui le portait a été poussée par les vents aux côtes de Sicile où on l'a fait remettre dans les prisons de L'Inquisition. Le Vice-Roi est informé du mérite du personnage et il aura sans doute soin de l'y tenir enfermé de sorte qu'il ne puisse parler ni communiquer avec personne (…) Il est heureux qu'il ne soit point en nos mains puisque le bâtiment ayant abordé en Sicile, pays de l'obéissance du Roi d'Espagne qui est toujours en guerre avec le Grand Seigneur, ses sujets s'y trouveront naturellement esclaves. Ainsi la détention d'Avedik peut être regardée comme un effet du hasard auquel vous n'avez aucune part."

      Les persécutions des Turcs reprennent de plus belle pour satisfaire les Arméniens hérétiques qui avaient donné 30 bourses au nouveau vizir pour qu'on leur rende Avedik : en juillet, il a fait mettre au bagne les patriarches de Constantinople et de Jérusalem, MARTINOS et SARY et menace de les faire mourir ainsi que tous les Arméniens "faits francs" si on ne rend pas Avedik.

 Le Grand Vizir rend Ferriol responsable de l'enlèvement et il s'en sort en promettant d'écrire au Roi de France pour le supplier d'écrire au roi d'Espagne, alors "maître des Royaumes de Naples et de Sicile", de le faire sortir de sa prison de Messine et de le renvoyer à Constantinople. Mais il s'est engagé à faire porter cette lettre "par le vaisseau de M. GUIEU qui devait bientôt mettre à la voile", alors qu'il savait qu'il ne partirait que vingt jours plus tard. Ferriol met ce délai à profit pour prévenir Versailles, le 1er septembre 1706, par un autre vaisseau, ignorant "si Avedik est encore à Messine, s'il a été mis dans les prisons du Saint Office ou porté en France", et insiste :

"Il est très important pour le repos et le salut des catholiques arméniens qu'il ne paraisse jamais dans cet empire avec tous les crimes dont il est chargé et qui font horreur.Il a été le persécuteur constant et inexorable de la catholicité."

Il ne faut même pas qu'il puisse écrire en Turquie.

      Le 8 décembre 1706, le ministre explique à M. de Ferriol ce qui s'est passé et lui fait des recommandations :

"Le vice-consul de Messine, qui apparemment n'a pas reçu assez tôt mes lettres, a profité de la première occasion qu'il a eue de l'envoyer à Marseille où il est arrivé et M. de MONTMORT l'a fait mettre dans les prisons de l'Arsenal. Il n'était point à présumer qu'il y pût rester longtemps sans être connu ou sans trouver quelque expédient pour donner de ses nouvelles à Constantinople et , pour l'éviter, le Roi donne ordre à M. de Montmort de le faire passer sous la garde de gens de confiance au Mont Saint-Michel."

      Les instructions données à l'intendant des galères à Marseille, M. de MONTMORT, pour son transfert au Mont Saint-Michel montrent la crainte qu'on avait que le "secret" soit découvert en Turquie :

"Vous lui ferez dire qu'on le mène à Versailles par l'ordre du Roy afin qu'on ait moins de peine (…); le désir de voir Paris et son déguisement l'empêcheront de chercher aucun moyen de s'évader ou de se découvrir (…). Vous répandrez dans le public, si on a su son nom et si son arrivée à Marseille y a été connue, qu'il est mort dans la prison, attaqué d'une maladie violente qui l'a emporté en peu d'heures. (…) Celui qui en sera chargé doit le garder avec soin et ne le jamais perdre de vue et empêcher qu'il parle et communique avec personne (…). Il n'est pas besoin que ces particuliers sachent son nom.

"Ses papiers et ses hardes seront renvoyés au Levant ce qui pourra servir à en faire perdre le souvenir comme d'un homme mort et le fera croire même à l'ambassadeur M. de Ferriol. (…) La dépense faite à son occasion (…) sera marquée comme dépense secrète dont le trésorier sera dispensé de rapporter de décharge."

      En août 1708, M. de FERRIOL peut écrire que "on ne parle plus ici (à Constantinople) d'Avedik." Mais on peut se demander à quoi cet enlèvement a servi puisqu'il ajoute :

"Les Turcs retiennent dans les fers plus de 60 Français qu'ils ont volés en différents endroits et dont ils refusent la liberté malgré les preuves qu'on leur donne qu'ils n'ont aucun droit de les retenir esclaves."

      Avant de quitter la Turquie, signalons que la correspondance consulaire du comte des Alleurs en 1713-1715, que nous avions longuement, et en vain, compulsée à la recherche de Cachadur, évoque très souvent les problèmes avec les Arméniens, catholiques ou schismatiques, persécutés ou persécuteurs, leurs patriarches, les missionnaires jésuites, etc. Nous nous sommes même égarés sur la piste d'un arménien domestique de l'ambassadeur de Perse qui se rendit en France à la fin du règne de Louis XIV… "comment peut-on être persan" ?

Où l'on retrouve CACHADUR

 Le 31 août 1708 le ministre Pontchartrain écrit, à l'intention du cardinal de LA TRÉMOILLE, que Avedik est bien gardé au secret et n'a pu écrire à ses partisans mais qu'il ne faut surtout pas qu'on sache qu'il est en France afin de ne pas causer d'ennui à M. de Ferriol et il ajoute (enfin !) :

  "Il est venu des Arméniens à Malte, à Messine et même à Marseille qui n'en ont pu avoir de nouvelles et actuellement on m'écrit que son valet est parti de Ligourne (sic) pour le chercher et qu'il doit passer à Marseille. Le Roi a donné ordre à M. de MONTMORT de le faire arrêter aussitôt son arrivée et de le mettre dans un cachot où il ne puisse être vu ni communiquer à personne."

 Il en fut ainsi et le 15 octobre 1708, M. de Ferriol écrit avoir "appris que son valet qui avait passé de Malte à Livourne (sic) et de là en France y avait été arrêté. C'est un séditieux. A peine parmi 100 Arméniens en trouvera-t-on un bon." (suivent d'autres termes, encore plus durs pour les Arméniens, que nous ne retranscrivons pas).

      L'intendant des galères à Marseille, que nous avons déjà cité, se nomme Jean Louis Hubert FARGIS de MONTMORT et celui qui lui succède, et s'occupera après lui de CACHADUR, est Pierre ARNOUL.

      Cachadur était arrivé à Marseille fin août 1708 et, le 5 septembre, le ministre écrivait à l'intendant des galères M. de Montmort, en accusant réception de ses lettres des 20, 22, 24 et 27 août :

"Le Roi a approuvé qu'en attendant les ordres de sa Majesté, vous ayez fait enfermer l'arménien nommé CATCHADOUR dans un lieu sûr de l'hôpital des forçats où il ne pourra communiquer avec personne et vous les aurez reçus peu de jours après, vous en ayant écrit sur l'avis qu'a donné le sr de RIENCOURT. Je suis persuadé qu'on sera plus certain que cet arménien ne parlera à personne dans le lieu où il est que si on le mettait dans la citadelle de Saint-Nicolas où il trouvera quelque occasion d'écrire et de donner de ses nouvelles par le moyen de soldats ou autres. Si cependant il en était autrement, vous n'auriez qu'à me le faire savoir. Vous pourrez mettre l'ordonnance nécessaire pour la dépense du voyage du premier arménien sous le nom que vous voudrez pourvu que ce soit sans désigner sa nation ni son pays et qu'il n'en reste aucune trace au public."

      Le 12 septembre, ayant reçu les lettres de M. de Montmort des 29 août et 3 septembre, le ministre répond :

"Je vous ai mandé ce que je pensais sur le nommé CATCHADOUR qui me paraît plus sûrement dans un cachot de l'hôpital des forçats qu'ailleurs pour ne point être découvert. Cependant, pour vous en ôter l'embarras, je pourrai proposer au Roy de l'envoyer ailleurs lorsque vous m'aurez fait savoir quelle langue il parle et s'il peut se faire entendre. Vous chargerez le sr ROUGIER de lui demander sous quelque prétexte s'il ne sait que l'arménien et s'il n'entend point la langue française."

      Le 10 octobre, après réception des lettres des 26 et 29 septembre et 1er et 3 octobre, nouvelles instructions envoyées de Marly :

"L'envoyé du Grand Vizir étant arrivé à présent à Marseille, vous l'y retiendrez jusqu'à ce que, après l'avoir entretenu et su de lui à qui sont adressées les lettres dont il est chargé, je puisse vous faire savoir les intentions du Roy sur la conduite à tenir à son égard. Vous chargerez cependant le sr EXPILLY d'en prendre soin et de lui faire voir ce qu'il y a de curieux dans Marseille pour l'empêcher de s'ennuyer. Si vous pouvez l'engager à vous remettre ses lettres, ce serait une dépense considérable épargnée mais vous ne devez en faire la proposition que comme désirant de savoir ce que vous avez à mander sur son sujet.

Le Roy trouve bon que CATCHADOUR reste dans le lieu où il est puisque vous êtes assuré qu'il n'y peut avoir de communication avec personne. Sa Majesté a bien voulu accorder 200 lt de gratification au sr ROUGIER qui en prend soin, pour l'engager à y donner plus d'attention et si vous continuiez d'en être satisfait, j'aurai soin de lui en procurer d'autres."

      Sur "l'envoyé du Grand Vizir", les instructions de Versailles le 17 octobre 1708 (reçues les lettres des 5 et 8 octobre) sont de le faire conduire à Paris par le sieur Expilly "avec toute l'économie qui sera pratiquable, sans cependant que cet aga puisse se plaindre de n'avoir pas été bien traité."

      Le temps passe. Cachadur est toujours emprisonné à Marseille. ARNOUL a succédé à Montmort. On est fin 1714 les papiers Arnoul ne parlent que de l'ambassadeur de Perse arrivé en octobre, qui "nous donne ici plus de pratique que toutes les Reines qui nous sont venues ou qui pourraient nous venir. Outre qu'il est fort violent, il est de plus fort soupçonneux." Arnoul fait pour lui de grosses dépenses (plus de 50 écus par jour) et, par exemple, "il veut toujours avoir à sa porte entre autres choses quatre chaises à porteur et six quand il va aux bains, avec les plus beaux chevaux qu'on peut trouver ici." Cet ambassadeur nous a égarés car, en juillet, peu avant lui et alors qu'on l'attendait, était arrivé un Arménien, se disant envoyé du Sophy, avec des lettres cachetées, nommé AGOB JEAN ou JACQUES JEAN, dont un domestique, arménien lui aussi, faisait partie de la suite de l'ambassadeur de Perse, qu'il rencontra à son arrivée et que nous avions cru un temps, à tort, en rapport avec Cachadur.

      Fin août 1714, un an avant de mourir, Louis XIV se rappelle l'existence de l'arménien oublié dans un cachot de l'hôpital des forçats de Marseille ou plutôt c'est l'intendant des galères Pierre ARNOUL qui a dû s'inquiéter auprès de Versailles de l'identité de cet homme. C'est toujours Jérôme PHÉLYPEAUX comte de PONTCHARTRAIN qui est ministre de la Marine et des Colonies, depuis 1699 et pour un an encore. Dès la mort du Roi le 1er septembre 1715, il sera remplacé par Louis Alexandre comte de TOULOUSE, président du Conseil de Marine qui remplaça sous la Régence le secrétariat d'état à la Marine.

      Le 5 septembre 1714, PONTCHARTRAIN écrit à ARNOUL :
"Je réponds séparément à la lettre particulière que vous m'avez escrit le 26 du mois passé sur ce qui concerne l'arménien détenu depuis six ans sous la garde du sr ROGIER. Le Roy a résolu de faire cesser ses souffrances et Sa Majesté, voulant en même temps éviter les inconvénients qu'il y aurait lieu de craindre en le renvoyant en Turquie, a jugé à propos de le faire passer dans une des îles françaises de l'Amérique, avec une pension de 500 lt pour lui faciliter les moyens de se procurer un établissement solide par les secours du gouverneur et de l'intendant, auxquels je le recommanderai fortement. Aussitôt que vous m'aurez fait savoir son nom, je vous adresserai ces expéditions afin que vous puissiez profiter de la première occasion favorable qui se présentera à Marseille de le consigner à un capitaine de confiance."

ARNOUL répond, le 16 septembre :

"Monseigneur, l'Arménien détenu icy dans l'hôpital, dont vous me faîtes l'honneur de me demander le nom par votre lettre du 5 de ce mois, s'appelle CACHADUR et j'exécuterai ponctuellement tout ce que vous me prescrivez à son sujet par cette même lettre aussitôt que j'aurai reçu les expéditions, me paraissant que le parti que vous avez pris de le faire passer aux isles de l'Amérique convient encore mieux que celui que j'avais proposé de l'envoyer aux îles de Ré ou d'Oléron."

Puis, le 3 décembre :

"Vous m'aviez fait l'honneur de me marquer, Monseigneur, que vous aviez fait dessein d'envoyer aux isles de l'Amérique le nommé CASADOUR, arménien qui est détenu dans les prisons de l'hôpital des forçats, et que vous lui assigneriez une pension de 500 lt. Comme il se prépare deux vaisseaux pour la Martinique qui partiront dans trois semaines ou un mois, j'ai cru que je devais prendre la liberté de vous en faire souvenir et vous demander là-dessus l'honneur de vos ordres."

Enfin, le 20 février 1715, le ministre écrit :
"Le Roy a approuvé que vous aiez fait rembarquer l'arménien CACHADUR sur le vaisseau du capitaine MARTINENG destiné pour l'Amérique, avec les précautions que je vous ay recommandées. A l'esgard de la dépense qui a esté faite pour les hardes de cet étranger et celle de son passage, vous n'aurez qu'à les employer dans l'état des ordinaires du quartier courant."

Et vogue la galère !

SOURCES IMPRIMÉES

"Les légendes criminelles de l'histoire - La Bastille des mers - Les exilés de l'ordre du Roi au Mont Saint Michel (1685-1789)", par Étienne Dupont, 1933 (p. 84-92)

"Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique" de Mgr Alfred Baudrillart, Paris, 1931 (tome 5, p. 998-1000, notice signée A. Vardanian; nombreuses références d'archives, qui nous ont servi de piste, et d'imprimés, que nous n'avons pas consultés)

"Sources de l'histoire de l'Amérique latine et des Antilles dans les archives françaises", sous la direction de Marie Antoinette Menier, Paris, archives nationales, 1994

ARCHIVES

Sources utilisées :

Archives nationales (CARAN) 
     Pour reconstituer l'histoire de cet Arménien aux Antilles françaises, nous avons consulté les séries

Colonies B/36 (correspondance de la France vers les colonies); C/7a/7 et 8 (correspondance des colonies vers la France), E58 (Cachadur), F/3 (Moreau de Saint-Méry). Nous déplorons d'ailleurs à cette occasion la mauvaise qualité du microfilmage des séries B, C et F/3, car des mots trop proches de la reliure n'apparaissent pas et selon les pages, recto ou verso surtout, il faut parfois "inventer" les premiers ou les derniers mots des lignes. En outre, dans la série C/7, le foliotage situé côté reliure n'apparaît pas, et les références prises dans le précieux inventaire (dactylographié) de la série deviennent difficilement utilisables ...

Marine B/1/8 (1715) et 20 (mai-août 1717) , B/6/39, 41, 42, 47 (ordres du Roi concernant les galères 1706-1709 et 1715-16) et B/7/73 (Levant et Barbarie 1705-06), 85 (id. 1710), 89 (id; 1711-1712), 93 (id, 1713-16); les registres B/7/75 et 79 (Levant et Barbarie, 1707-1708 et janvier-décembre 1709) ne sont pas communicables en raison de leur état de conservation et nous sommes reconnaissants à MM Taillemite (tables de B1, 2 et 3) et Henrat (inventaire de la série B7) de leurs précieux inventaires qui sont des guides indispensables et permettent de suppléer en partie aux registres incommunicables.

Affaires Étrangères Consulats Levant et Barbarie, B/III/1 (index), 139 (inspection du commerce de Marseille, juillet-décembre 1714),ainsi que les registres paroissiaux de Pointe-Noire, Mont-Carmel, Gosier et Sainte-Rose

Bibliothèque de l'Arsenal
archives de la Bastille : une courte pièce de 1711 (10587, 1709, M-Z, 244-249)manuscrit 3499 (336 ABF) du "recueil de la bibliothèque de M. de Paulmy"

Archives du Quai d'Orsay, ministère des Affaires Étrangères
Mémoires et documents, Turquie, tome 1, f° 396-414; tome 35, f° 282-93 Correspondance Politique, Turquie, vol. 37(1700) à 46 (1709-10)

Bibliothèque nationale
Nouvelles acquisitions françaises, Papiers Arnoul, NAF 21306-21444; en particulier 21370 (septembre-décembre 1714)

Autres sources consultées (en particulier sur les Arméniens à Marseille et l'ambassadeur de Perse, sans rien y trouver sur Cachadur):

Chambre de commerce de Marseille
J 156 à 158 correspondance avec le comte des Alleurs
B 77 à 81, 1699-1715, correspondance passive de la Chambre de commerce, lettres de Pontchartrain
L/XI/7 Fonds de Barbarin, documents sur Ange de Gardane sgr de Sainte Croix, secrétaire du roi, consul de France en Perse, 1700-1750

Archives communales de Marseille
AA/68, Cérémonial, 1714 visite de l'ambassadeur du Grand Sophy
FF, Police, 192 (police générale, police politique, étrangers, 1498-1785), 298 (contrôle des arrestations et emprisonnements, 1710-1728)

Archives départementales des Bouches du Rhône
Intendance de Provence C/2273 à 75
Amirauté 9B/5, 6 et 16
Intendance sanitaire 200E/166 et 287
Papiers Arnoul 5/E/8

Archives nationales

Affaires Étrangères Correspondance consulaire, B/I/388 (Constantinople 1713-1714) et 389 (id. 1715-1716); Consulats Levant et Barbarie, B/III/133 et 134 (inspection du commerce de Marseille, commerce du Levant, 1707-08 et 1709) 135 à 138 (id 1710 à juin 1714)

Marine B/6/46, 107 et 108, 141 et 142, (galères 1713-1715) B/7/93 (ordres et dépêches concernant le commerce du Levant et de Barbarie, janvier 1713-décembre 1716) D/5/1 (chiourmes, demandes de grâce, lettres sur les forçats) E/35, 37, 39 (comptabilité, 1712-1715)

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      Quelques précisions et compléments 
par Guillaume Aral

« L'histoire de ce personnage était passée totalement inaperçue auprès des historiens arméniens.

La graphie exacte du prénom de notre personnage est KHATCHADOUR, qui se traduit littéralement par "Don de la Croix", d'où la traduction LACROIX.

Je n'ai malheureusement pas de complément à vous communiquer sinon que le prénom du père de Khatchadour devait être Margos (Marc). Notre personnage s'appellerait aujourd'hui Khatchadour Margossian (le ian est apparu plus tard au XVIIIe siècle). Peut-être trouverons-nous dans le futur des informations complémentaires. Il est étonnant que le roi ait voulu garder en vie Khatchadour aux frais de la Couronne, alors qu'il aurait bien pu le faire éliminer dès son arrivée à Marseille : c'est un peu comme pour le Masque de fer, Louis XIV répugnait à faire exécuter les espions ou les témoins gênants, mais les condamnait à perpétuité dans des conditions de détention honorables.

J'ai écrit un article sur HAGOPDJAN, consul de Perse à Marseille (1715-1728), qui accompagnait l'ambassadeur de Perse en 1714 et que vous citez dans votre article. Quant au patriarche AVÉDIK de Tokat, c'est un personnage que j'ai étudié pour ma thèse "La Juridiction du Saint-Siège de Rome sur les Arméniens catholiques", thèse qui sera publiée en 2010. »

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