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en préparation
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Chienne d'Histoire de Serge Avédikian
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Proposition du Dr Remlinger pour décaniser Constantinople. Le Dr Remlinger était directeur de l'Institut Pasteur de Constantinople et opposé à la "manière forte" traditionnelle.

"Je compris vite que la décision gouvernementale était irrévocable, qu'essayer de la combattre était s'exposer à d'injurieux soupçons et se compromettre inutilement. Je me demandai par contre s'il n'existait pas, pour décaniser la ville, un moyen plus discret et moins barbare que la déportation dans une île déserte. Avec sa peau, ses poils, ses os, sa graisse, ses muscles, ses matières albuminoïdes en général, son intestin même, la valeur marchande d'un chien de rue était de 3 à 4 francs. Il y avait en ville de 60 000 à 80 000 chiens. Ils représentaient donc un capital de 200 à 300 000 francs. N'était-il pas possible de confier, après adjudication, la décanisation à un concessionnaire qui, en différents points de la banlieue, installerait des clos d'équarrissage économiques ? Ceux-ci comprendraient une chambre hermétique communiquant avec la canalisation du gaz et un atelier de dépeçage comprenant tout ce qui était nécessaire pour le traitement des produits utilisables de l'animal. Les chiens seraient appréhendés la nuit discrètement et transportés à pied d'oeuvre dans des voitures du modèle des fourrières européennes. Dix clos d'équarrissage pourraient chacun traiter par jour une centaine de chiens. En deux mois la décanisation était terminée et l'opération procurait à la ville un bénéfice qui était affecté à des œuvres de bienfaisance. » Mais le gouvernement rejette son rapport au Conseil d'Hygiène et choisit la manière forte traditionnelle. On commence donc par détruire les portées en entassant les chiots dans des sacs que l'on vide en pleine mer. On passe ensuite aux chiens adultes. Accompagnés de soldats et d'agents de police, des auxiliaires irréguliers parcourent les rues pour s'emparer des chiens et les enfermer dans des cages, capture souvent difficile et toujours cruelle. En quinze jours, au milieu des hurlements, tous les chiens sont donc rassemblés et on procède à leur déportation"

Extrait d'un article paru en 1932 dans "Le Mercure de France"

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  • "Constantinople avec Pierre Loti" de Gabriel de La Rochefoucauld, "Les éditions de France" 20 avenue Rapp ; Imprimerie Nouvelle 11, rue Cadet Paris Octobre 1928  pp.113-115.

On sait qu'à cette époque les chiens pullulaient à Constantinople. On marchait dessus et les pauvres bêtes vivaient de tous les détritus de la ville, mélancoliques, errants et dociles, prenant très au sérieux leur rôle de nettoyeurs des rues. Evidemment, mon valet de chambre et le voyageur en pharmacie avaient été choqués dans leur occidentalisme par des moeurs un peu primitives et cette couleur locale qu'ils jugeaient exagérée.

Ils avaient donc eu une idée que l'on pourrait qualifier d'audacieuse dans l'empire d'Abdul Hamid. Dégoûté de voir les chiens manger les ordures, le pharmacien d'accord avec le valet de chambre, avait voulu essayer de débarrasser tout un quartier de Péra de ces chiens en employant la strychnine.

Mon valet de chambre m'avoua avoir trempé dans cette conspiration un peu spéciale; mais il n'y eut pas moyen de savoir combien il avait tué de chiens, ni comment ils s'y était pris, ni ce qui était arrivé au pharmacien. Je crus néanmoins comprendre que le pharmacien avait décampé, que la police était à ses trousses, et que mon valet de chambre n'avait pas bougé de son hôtel, de façon à ne pas avoir lui aussi, la police derrière lui.

Malin, retors, il avait simulé la tranquillité du voyageur paisible.  Malgré son calme apparent, il était inquiet, car il n'avait plus jamais entendu parler du pharmacien. Depuis ce moment, il évita toujours de prononcer le mot "chien" et j'ai cru démêler plus tard qu'il avait pris toutes ces excellentes bêtes en horreur.

Aujourd'hui, où tant d'habitudes turques ont été modifiées, où les pauvres chiens ont disparu probablement pour toujours, ces deux hommes seraient peut-être considérés par les Jeunes-Turcs comme d'ardents pionniers de la civilisation ; mais au temps d'Abdul Hamid, c'était la prison ou l'exil.

  • Recherche bibliographique et numérisation : Pascal Nicolaïdes (Forum NAM)
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