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René Rémond - Émission  Mazerolle Direct le 24 Avril 2006, BFM TV
pour la présentation de son livre Quand l’Etat se mêle de l’histoire

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  • René REMOND conseiller de Jacques Chirac, professeur, président d'université, président du Centre catholique des Intellectuels français, membre du Comité des programmes de télévision de l'ORTF, du Conseil supérieur de la technologie, du Conseil Supérieur de la Magistrature, du Conseil Supérieur des Archives. A animé les groupes de travail créés en 1990 par le Commissariat général du PLAN pour bâtir le système éducatif de l'an 2005 et présidé la commission d'historiens auxquels le Cardinal Decourtray avait demandé de faire la lumière sur le rôle de l'église vis-à vis du milicien Paul TOUVIER, académicien, etc...

    ...et premier Président de l'association ''liberté pour l'histoire''. Pour lui la liberté pour l'histoire, c'est la liberté de nier.
    Il suffit que deux spécialistes, auto-proclamés, véritable spécialiste ou estampillé historien par le ministère de l'éducation, donnent des versions différentes et le tour est joué; ont peut nier l'évidence sans aucuns risques.

    Transcription Internaute Hoppa du Forum NAM.
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Mazerolle : ….tout ce que l’on entend en ce moment, les divergences d’appréciations sur la période coloniale, sur l’islam, sur l’immigration, ça justifient presque votre prise de position en tant qu’historien et avec beaucoup de vos collègues que vous manifestez dans ce livre ’’Quand l’Etat ce mêle de l’histoire,’’  vous dites que ce n’est pas aux politiques de faire l’histoire.

R. Rémond : Oui parce que ça compromet à la fois la liberté de la recherche,  la liberté d’expression et le droit des citoyens de se faire une opinion, surtout si la prise de position des politiques prend la forme d’une loi ; parce que c’est ça que nous critiquons. Il est normal que les politiques aient une opinion sur l’histoire, c’est leur droit et même en un sens on s’étonnerait qu’ils n’aient pas une opinion sur l’histoire compte tenu du lien très étroit entre le passé et le présent ; qu’ils aient des convictions et qu’ils les expriment, c’est leur droit et même presque leur devoir en un sens mais est-ce que ça doit prendre la forme d’une loi ; car une loi c’est une procédure bien particulière qui est contraignante, et alors on voit l’incident de l’année dernière là , du procès qui a été intenté à un jeune historien pour le livre qu’il avait écrit sur les traites négrières. Ce livre a obtenu le prix d’histoire du Sénat délivré par un jury que je me trouve présider, donc je connais bien le problème…

Mazerolle : le sujet oui…

R. Rémond :  hors on s’est aperçu que depuis une quinzaine d’années, oui ça fait une quinzaine d’années, le parlement a adopté au moins quatre lois concernant des chapitres de l’histoire, et ces lois permettent d’abord, définissent quelle est la vérité historique, prévoient des sanctions contre ceux qui tiendraient un discourt contraire, et offrent la possibilité à des groupes de pression de se porter plaignant contre les historiens ; alors c’est là qu’on a mis en place un mécanisme qui est redoutable et dont ce jeune historien a fait les frais puisqu’un groupe d’antillais a engagé des poursuites contre lui au civil et au pénal…

Mazerolle : et ils lui ont reproché finalement simplement d’avoir dit que l’esclavage n’était pas le fait uniquement des européens et des américains blancs…

R. Rémond : exact, d’une part il parlait des traites au pluriel qui en fait est un phénomène comme l’esclavage qui en fait a touché la plupart des sociétés, que la traite a commencé bien avant, notamment en Afrique, que les occidentaux n’organisent…heu ! … avant la découverte de l’Amérique et que part conséquent il fallait considérer ça comme une attitude globale ; alors ça n’a pas été du goût de certains antillais et par ailleurs lorsqu’il a été interrogé par un journaliste au Journal du Dimanche, il a dit que l’on ne pouvait pas parler de génocide à propos de la traite, et il a tout à fait raison parce que le génocide c’est la volonté d’exterminer jusqu’au dernier systématiquement tous ceux qui appartiennent à un groupe, mais les négriers ils vont pas faire disparaître ce qui pouvait être une marchandise en fait, ils en attendent un produit rémunérateur…quand ils achètent….

Mazerolle :  dire que ce n’était pas un génocide ça ne vaut pas approbation naturellement…

R. Rémond : C’est un crime contre l’humanité mais c’est pas un génocide.

Mazerolle :   Alors justement, la loi qui a été votée par le parlement français dit que l’esclavage est un crime contre l’humanité, alors en quoi est-ce gênant qu’une loi comme celle-là puisse être voté ?

R. Rémond : Oui mais c’est pas le fait que… ça paraît évident, c’est une qualification, et après tout le législateur est dans son rôle quand il définit les délits et qu’il les qualifie. Nous n’avons aucunes objections à ceux qui disent que la traite d’une part et l’esclavage de l’autre… on a introduit le procès de la colonisation et on va y revenir, donc c’est…

Mazerolle :  mais là il s’agit d’un principe, l’esclavage est-ce que oui ou non sur le principe c’est un crime contre l’humanité ?

R. Rémond : c’est un crime contre l’humanité…

Mazerolle :  Alors en quoi est-ce gênant qu’une loi française le dise ?

R. Rémond : Ce qui nous a parut gênant, c’est que la loi intervient pour définir ce qui doit être enseigné, et c’est là  à mon avis que le législateur va trop loin. C’est pas à lui de dire, parce que la loi Taubira, puisqu’elle porte le nom de cette Sénatrice, dit que dans l’enseignement il faut que l’on réserve un temps suffisant, un temps conséquent dit-elle, sans d’ailleurs le préciser, à l’enseignement de l’esclavage et de la traite négrière…

Mazerolle :  et c’est ça que vous mettez en cause !

R. Rémond : c’est ça l’intervention. D’autant plus que c’est contraire à la constitution, car l’article 34 de la constitution qui trace une frontière entre ce qui est la compétence du législateur et ce qui relève de l’autorité du gouvernement, n’autorise le législateur pour ce qui est de l’enseignement, à n’intervenir que pour ce qui est des principes généraux de son organisation mais non pas des programmes. C’est pas une majorité de circonstance qui va dire s’il faut parler de tel ou tel sujet ; c’est aux historiens de le dire.

Mazerolle :  Alors, la colonisation justement, on voit que cette loi sur la colonisation provoque une forme de compétition entre la France et l’Algérie, puisqu’en France on a failli avoir une loi, on l’a eu d’ailleurs puis elle a été finalement modifiée valorisant la colonisation et Monsieur Boutéflika lui dit,  mais pas du tout la colonisation c’était le génocide de l’identité des algériens.

R. Rémond : il faut d’ailleurs s’élever contre la… j’ai vu  que Monsieur Douste Blazi a dit le galvaudage, mais la dilution de la notion de génocide... Elle a été créée contre un crime bien déterminé qui est la Shoa, et que, appliquer cette appellation à d’autres, on est en train non pas de disculper tout à fait la Shoa, mais de nier sa spécificité ; hors c’est là que la première de ces lois a été adoptée…

Mazerolle :  ça on va y revenir, mais d’abord parlons de la colonisation, cette compétition qui dresse les gens les uns contre les autres parce que les mémoires ne sont pas forcement pas la mêmes coté Algérien et coté français.

R. Rémond : Exactement, et qu’il faut laisser les historiens… ce que les gouvernements peuvent faire, c’est encourager les historiens à travailler là-dessus et à rapprocher les points de vu ; parce qu’il y a quand même des vérités. On ne peut pas assaisonner l’histoire en fonction de la pression des groupes. C’est ça qui est préoccupant, c’est que les initiatives parlementaires, elles proviennent généralement de députés qui cèdent à la pression d’un groupe particulier, et on risque d’avoir à ce moment là une sorte d’insurrection des mémoires particulières.

Mazerolle :  Justement, je voulais vous dire, est-ce que ça ne correspondait pas à un besoin finalement. Nicolas Sarkozi  d’ailleurs disait samedi « y-en a marre, ou y-en a plus qu’assez de presque avoir à s’excuser d’être français. » Est-ce qu’il n’y a pas de lassitude aussi devant une partie de l’électorat devant les actes de repentance qui se multiplient et donc est-ce que les députés là n’ont pas  répondu à  un besoin en votant cette loi sur la colonie… ?

R. Rémond : oui je crois qu’il y a une raison de défense de l’organisme collectif si l’on peut dire qui en a un peu assez, mais parce que l’histoire, elle doit montrer au contraire la complexité et l’ambivalence ; finalement on s’intéresse qu’aux pages sombres des affaires, qu’aux crimes. Alors, il est normal que les crimes soient désignés, et même pour l’éducation des citoyens c’est important, et là je crois que le législateur a un rôle, mais il ne faudrait pas que ça tourne uniquement… sans compter que, on intervient sur des problèmes qui ne nous concerne pas, ce qui est le cas du génocide arménien, c’est un…

Mazerolle :  attendez sur la colonisation tout de même, est-ce que le fait qu’on dise que la colonisation a des aspects positifs c’est une chose…

R. Rémond :  c’est très frappant, elle a fait l’objet de deux lois, deux initiatives parlementaires. La première de Madame Taubira, il s’agissait au fond de dénoncer la colonisation comme un crime contre l’humanité, c’est cela qui était sous-jacent…

Mazerolle :  C’est pas dit explicitement !

R. Rémond : C’est pas dit explicitement, c’est vrais mais c’est tout de même ça l’intention. Donc ça a provoqué la riposte car le projet de loi suivant n’aurait probablement pas vu le jour si y-avait pas eu ce qui a été ressenti comme une provocation par ceux qui estiment que la colonisation la France n’a pas a en rougir, et alors à ce moment là, alors le parlement franchit un pas de plus, puisqu’on déclare que les enseignants devront insister sur le rôle positif, alors là le législateur non seulement décide, établit la table des matières de l’enseignement mais indique les commentaires là ; ce qu’il faut demander aux historiens c’est de présenter le fait colonial dans sa complexité ; ce même fait, et là l’exemple est très topique, Madame Taubira a tout à fait raison de rappeler que la colonisation s’est accompagné de la traite et de l’esclavage ; mais la même colonisation au XIX  siècle, après l’abolition de l’esclavage, ça a été en fait l’extirpation de l’esclavage de l’Afrique. Une bonne partie des expéditions coloniales sont motivées ou ont pour conséquence d’empêcher le trafic des marchands d’esclaves dans l’Afrique noire, ça a été une libération…

Mazerolle :  sur le principe, ceux qui se sont insurgés contre cette loi, n’avait pas raison de dire que le principe même de la colonisation est en soit quelque chose qui est négatif ?

R. Rémond : Non je crois que c’est excessif, c’est une forme… ça correspond à un âge. C’est comme ça que la mondialisation a commencé, la colonisation, ça s’est d’abord fait sous la forme d’une initiative des pays les plus évolués qui conquièrent, soumettent, exploitent aussi, mais par ailleurs contribuent à les sortir de l… alors aujourd’hui ça nous paraît à nous qui avons une autre idée de l’indépendance des peuples, ça nous paraît effectivement archaïque ; mais la colonisation n’est pas le mal absolu ; ça n’a rien de comparable à la Shoa, c’est pour ça qu’y a… c’est un peu…

Mazerolle :  Monsieur Rémond, est-ce que vous savez qu’avec ce livre, dans quelques temps, vous serez peut-être passible d’une peine de prison, parce que vous écrivez dans ce livre que le génocide arménien n’est pas avéré et le parti socialiste se propose de déposer un amendement qui permettrait de condamner jusqu’à cinq ans de prison toute personne qui mettrait en doute l’existence de ce génocide, suite à la loi votée par le parlement français qui reconnaît l’existence du génocide arménien ?

R. Rémond :  Bé c’est une initiative que vous m’apprenez montre à quel point notre position est justifié, car on s’engage dans un processus que dans aucun autre pays on ne voit ça. Les politiques ne sont pas qualifiés pour établir la vérité historique, moi je ne suis spécialiste du tout, mais je constate que les historiens qui sont spécialiste de l’histoire de l’Empire ottoman ou autre sont partagés quand il… Personne ne doute qu’il y ait eu des massacres, c’est pas ça qui est en cause…

Mazerolle :  le massacre est avéré lui…

R. Rémond :  le massacre est avéré, mais pour parler génocide, c’est le problème de la qualification et de l’appellation ; le génocide, Nuremberg en a donné une définition précise et qu’il faut pas diluer. Il y a génocide que si la preuve est faite qu’il y a une volonté explicite d’extermination systématique. Hors on n’a pas la preuve. Que les turcs se soit très mal conduit, qu’ils aient massacré dans des conditions invraisemblables, des centaines de milliers d’arméniens, personne ne le conteste ; est-ce qu’il y a eu de la part du gouvernement de l’époque et du parti jeune turc, est-ce qu’il y a eu la volonté d’exterminer tous les arméniens. Nous n’en avons pas la preuve. Par conséquent, et c’est pas les députés socialistes qui… parce que c’est l’idée que j’ai vu soutenir curieusement à la télévision par des parlementaires estimant que dès lors qu’ils étaient des élus d suffrage universel, ils avaient compétence pour dire la vérité historique ; C’est incroyable quand même ; par conséquent ça les affranchirait de tout ce que doivent s’imposer les spécialistes pour acquérir une certitude. C’est une manière de totalitarisme.

Mazerolle :  Alors la loi Gayssot,  la loi Gayssot elle a été votée en 1990 ; elle a été faite pour punir ceux qui nieraient l’existence de la Shoa. La Shoa c’est un fait avéré, on est d’accord ? personne ne le conteste, enfin personne, très rare sont… enfin en tous les cas il n’y a pas un historien sérieux qui conteste l’existence…

R. Rémond : et on se demande qu’est-ce qui peut les motiver…

Mazerolle :  voilà ceux qui mettent en cause… ce que je voulais vous demander c’est pourquoi vous êtes contre cette loi ?

R. Rémond : c’est parce qu’elle est la première, c’est elle qui a amorcé ce processus, elle est la mère des autres lois. Il est difficile de la contester car elle ne vise qu’un seul cas et sur lequel comme je vous l’ai dit, il n’y a pas de doute sur la réalité, il n’y a pas davantage d’hésitation sur la qualification. C’est monstrueux… et par conséquent il est normal

Mazerolle :  c’est vraiment un génocide…avéré ?

R. Rémond : y-a un génocide, y-a incontestablement… bien qu’on ait jamais retrouvé la minute de la décision sur la solution finale qui a été prise à la rencontre de (…) en janvier 42. personne ne doute que la décision à été prise, et c’est dans l’application de cette décision que commence les massacres ou se poursuivent, les massacres un peu partout ; par conséquent, en un sens, mais à l’époque déjà, certains historiens s’inquiétaient, et Pierre Vidal Naquet, Madeleine Robert Hue qui était à l’époque présidente de la ligue des droits de l’homme estimaient que s’était dangereux, que l’on s’engageait sur une voie, et que de proche en proche on risquait de porter atteinte à la recherche de la vérité.

Mazerolle :  Alors vous dites d’ailleurs que d’une façon plus générale, à travers ces lois quelle qu’elle soit, ces lois dites mémorielles, ces lois d’interprétation de l’histoire finalement ou d’écriture de l’histoire, en les politisant, on risque de jeter les citoyens les uns contre les autres…

R. Rémond : Sûrement…

Mazerolle :  Parce que finalement demain, les protestants vont demander réparation…

R. Rémond : Oui c’est ce que je disais, l’édit de Nantes, les albigeois, la guerre des albigeoits ; surtout à partir du moment où l’on s’engage sur des problèmes… le génocide arménien, la France n’y est pour rien. Pour la Shoa c’est vrai que la France c’est trouvé impliquée, a participé, à la fois les victimes et les bourreaux, mais à ce moment là pourquoi est-ce qu’on va pas adopter une loi pour condamner l’extermination des indiens par les américains, de proche en proche.

Mazerolle :  Monsieur Rémond, vous dites d’ailleurs plutôt de politiser tout ça, enseignons les choses, les faits avérés, les intentions également parce que c’est important ; et puis au lieu de diviser à travers la politique, regardons par exemple ce qui se passe à science-po, vous êtes président d’un jury, vous voyez des élèves des quartiers dits défavorisés, noirs et maghrébins qui arrivent, et là vous vous dites c’est formidable ?

R. Rémond : Oui l’intégration se fait bien, et ils s’établissent sans problèmes semble-t-il dans les deux cultures, ils gardent fidèle à leur racines et en même temps se disant citoyens et acceptant la loi de la république.

Mazerolle :  et prêt à accepter l’histoire dans sa réalité ?

R. Rémond : et je crois que l’histoire peut aider à dépasser ça sauf sur le repli ou le retrait sur les mémoires particulières ; je crains que ce ne soit le triomphe des particularismes avec ce que ça comporte d’incompréhension et de sectarisme au détriment de l’universel, de la communauté nationale.

Mazerolle :  Merci Monsieur Rémond, vos deux livres donc, les droites aujourd’hui et puis quand l’Etat se mêle de l’histoire.

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