7 juin 2009 : élections européennes  ? Un questionnement à partir du dossier de l'EXPRESS :
"Entrée de la Turquie: de quoi les Européens ont-ils vraiment peur?" [*01]


Parlons de cette "peur" ! Les élections européennes ne sont pas exemptes de paradoxe dans leur prose. Il n’est pas rare d’entendre des manipulations politico-sémantiques pour diaboliser l'islam en le confondant avec le terrorisme islamiste et en alimentant l'islamophobie (pour des raisons géopolitiques du Moyen-Orient), mais aussi par le truchement d’islamophobes en recyclage de xénophobie classique –ne pouvant plus s'exprimer dans le cadre de l'Union européenne.

De part sa nature non-républicaine, l'islamophobie devient aussi :

- l'allié indirect en Non-dit du Turco-Négationnisme >> faisant glisser le Génocide arménien de 1915 sur le dos de l'islam et –plus dangereux encore!– en minimisant la responsabilité de l'Etat turco-ottoman dans l'organisation des déportations[*02] et des camps de concentration[*03]

- un outil de travail de l'Euro-révisionnisme >> présenter l’image d’une Turquie "laïque",[*04] "moderne",[*05] "à vocation européenne"[*06] –tout en occultant les différentes finalités bivalentes non-dites des réformes kémalistes et leurs conséquences contradictoires.

Ceci nous amène à exposer les origines du Génocide des Arméniens en 1915 et son déni actuel, dans l’espoir de dénouer les lacets qui serrent le sac d’embrouilles. Il s'agit de sortir des confusions entretenues. A cette fin, nous rappelons que :

– le génocide avait pour base idéologique le pantouranisme ultranationaliste[*07] –et non l'islam,
– son projet était de créer un grand empire touranien allant de la Méditerranée jusqu'en Asie centrale,
– la première étape dans le processus prévoyait une jonction avec les Azéris,
– le nettoyage ethnique avec la complicité du pangermanisme qui s’en suivit,[*08] n’était que conséquence de cette déportation criminelle au niveau de tout un peuple autochtone.[*09]

Si le fanatisme religieux fut instrumentalisé par le Gouvernement Jeune-Turc, les massacres et déportations qui s’embrayèrent, furent dénoncés comme étant non conformes à l'islam.[*10] Le Gouvernement jeune-turc fut sévèrement qualifié de "mécréant"[*11] par l'émir hachémite du Hedjaz, Hoceïn Ibn Ali (1854-1931). Le chérif de La Mecque promulgua un firman en 1917 comme Gardien des Lieux Saints, demandant aux musulmans de donner l'hospitalité aux déportés arméniens survivants des rafles, des exactions et des exterminations depuis 1915.[*12]

Après la fin de la guerre, la France négociant secrètement avec les nouveaux nationalistes turcs en insurrection contre les autorités impériales ottomanes,[*13] devient la première grande Puissance à contribuer au bétonnage du négationnisme kémaliste. Par la suite, elle n’a pas hésité à abandonner les réfugiés arméniens qui avaient survécu aux massacres de 1915 aux mains des bandes armées turques de Cilicie (1921).[*14] Le Traité de Lausanne (1923) consacre l'impunité de ce génocide au point qu'au Procès de Nuremberg, il est rapporté ce que Hitler aurait exprimé avant d'attaquer la Pologne en 1939 : "Qui parle encore aujourd'hui de l'extermination des Arméniens ?"[*15]

Au delà des considérations/analyses portant sur les relations historiques entre les Etats, ainsi que sur d’autres registres (religieux – politiques – démographiques – économiques – aides financières européennes), comment expliquer la "peur" des citoyens européens ? Quel rôle joue le passé ? Qu'en est-il aussi de l'Inconscient européen vis-à-vis de son propre héritage historique ?

On peut avancer quelques éléments de thèse pour essayer de comprendre la "peur" des citoyens européens. Parmi ceux-ci, citons-en trois :

– La turquification

Sachant que la turquification (qui n'était pas une islamisation conservant l'ethnicité des jeunes convertis) a été largement utilisée à l’intérieur de l'Empire ottoman –aux Balkans et en Anatolie, pour ne citer que ces deux régions.[*16] Au nombre de ces jeunes, les plus connus en Europe étaient les Janissaires spécialement formés et conditionnés pour aller combattre au front.[*17]

– Le colonialisme et l'esclavage

Considérant certains aspects européens et français, présents ou passés, on pourra avancer que :
. cette "peur" en France, est catalysée en particulier par les reliquats non encore clarifiés de la Guerre d'Algérie (Harkis, tortures, crimes de guerre)[*18] –et aussi en général par le souvenir du colonialisme et par la Mémoire de l'esclavage rappelés par notre société multiethnique.[*19]
. la Traite négrière transatlantique est spécifiquement à la base historique des différents essors économiques et financiers de l'Europe occidentale. Il y a décalage et discordance avec l'Europe centrale qui n'a pas été impliquée dans ce trafic criminel, qui ne l'a pas côtoyée et qui n'en a pas bénéficié.[*20]

– Le déni actuel du génocide arménien

Etant le déni d’un crime contre l'Humanité, on devrait souligner :
. la dénégation, l'occultation ou la banalisation des faits de déshumanisation, le tout bétonné dans un Négationnisme d'Etat de la part de la Turquie depuis plus de 90 ans,
. les ravages que cause ce déni dans l'Inconscient collectif, aussi bien pour les descendants des victimes que pour ceux des bourreaux,[*21]
. au Moyen Orient, une genèse inconsciente du terrorisme islamiste dont on essaie de comprendre le pourquoi au delà des conflits et des fanatismes,[*22]
. en France, avec un déni banalisé en un « Génocide » entre guillemets consignés par le négationnisme d'Etat en question : une désertion et un laxisme dans notre pays ne pouvant qu'encourager sociologiquement discriminations et délinquances –consciemment ou inconsciemment.

Ces mécanismes psychosociologiques –que des politiciens européens cherchent à minimiser ou à rendre opaques face à la société civile– sont mieux discernés avec l'actualité turco-kurde. On comprend mieux le génocide de 1915 avec les violences et les exactions commises par le pouvoir kémaliste d'Ankara sur l'autre peuple autochtone qui reste dans la région, c'est-à-dire les Kurdes.[*23]

Ainsi aujourd'hui, s'agissant du Parlement européen, au delà des "peurs" et en étant plus attentif aux communautés, aux minorités ou aux peuples opprimés des pays voisins –et non pas en étant d'intelligence avec leurs Etats oppresseurs ou corrompus– il faudra espérer que cela pourra contribuer à mieux répondre aux vraies attentes des Eurocitoyens !

Nil V. Agopoff
ADIC - Arménité, Diversité et l'Identité citoyenne

- [*11] Le Temps, Paris le 12 Novembre 1916. cité dans Le Conflit turco-arménien, en français, Me Roupen Boghossian, Beyrouth 1987, annexe
pp 296-304 http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/6histoire/par_pays/arabes_1915.htm
- [*16] Pendant trois siècles, il y avait l’institution ottomane appelée le « devchirmé » qui enlevait les jeunes garçons et les jeunes filles à leur famille dans les villages chrétiens. http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/6histoire/a_d/16_devchirme_bibliographie.htm C'était un impôt sur le sang pour broyage ethnique en "melting pot" forcé. Les adolescent(e)s qui étaient choisi(e)s, étaient éloigné(e)s de leur lieu d’origine jusque dans la capitale ottomane http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/6histoire/a_d/16_devchirme.htm